Compère le Renard se mit un jour en frais,
et retint à dîner commère la Cigogne.
Le régal fût petit et sans beaucoup d’apprêts :
Le galant pour toute besogne,
Avait un brouet clair ; il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n’en put attraper miette ;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la Cigogne le prie.
“Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie. ”
A l’heure dite, il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse ;
Loua très fort la politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout ; Renards n’en manquent point.
Il se réjouissait à l’odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu’il croyait friande*.
On servit, pour l’embarrasser,
En un vase à long col et d’étroite embouchure.
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d’autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un Renard qu’une Poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l’oreille.
Trompeurs, c’est pour vous que j’écris :
Attendez-vous à la pareille.
Commentaires de Chamfort – 1796
V. 4. Besogne , ( autrefois besongne ) n’est pas le mot propre ; mais à cela près la fable est charmante d’un bout à l’autre. Elle me rappelle le trait d’un riche particulier qui avait fait dîner ensemble un antiquaire , qui hors de là ne savait rien, et un physicien célèbre, dénué de toute espèce d’érudition. Ces deux messieurs ne surent que se dire. Sur quoi on observa que le maître de la maison leur avait fait faire le repas du renard et de la cigogne. (L’Enfant et le Maître d’école)
Analyses de MNS Guillon – 1803
(1) Compère le Renard. Les titres de compère et commère , établissent entre homme et femme une parenté adoptive, familière, la plus libre de toutes. On appelle aussi compère, un homme adroit, fin , qui va à ses intérêts, et dont on doit se défier. Tout cela rapporté au caractère du Renard, lui convient à merveille.
(2) Se mit un jour en frais. On voit un avare qui donne rarement ; c’est un extraordinaire. Quelle en sera la suite?
(3) Et retint à dîner commère la Cigogne. Le Renard fait les avances, ce qui rend l’affront fait à la Cicogne plus piquant.
( L’abbé Batteux. )
(4) Le galant. Ce mot signifie amoureux, cherchant à plaire aux dames. Un repas où les conviés sont du même sexe, exige moins de recherches; autrement il en faut davantage. Le Renard sait trop bien vivre, il est trop galant pour manquer à ces convenances. Le galant est donc pris ironiquement.
(5) Besogne. Le poète a ramené ce mot à son sens antique. Muse , disoit le poète Maynard : (L’Enfant et le Maître d’école) ...Lire la suite…