Un jour, un chat de compagnie
Avec un renard voyageoit.
Plusieurs citations de morale choisie ,
Que tantôt l’un, tantôt l’autre faisoit,
Sembloient raccourcir leur trajet,
La justice toujours doit nous servir de guide,
Disoit le chat à son fin compagnon.
Ami, vous avez bien raison,
Répondoit le renard : point de masque perfide ;
Il ne sied qu’au Caméléon.
En ce moment , un loup que la faim chasse,
Sortit du fond d’une forêt ,
Vit un troupeau dont le berger dormoit ,
Et prit la brebis la plus grasse,
Pour son souper friand objet.
Ah ! que cette action est basse ,
S’écria d’une voix le couple voyageur !
Sur un être innocent assouvir sa fureur!
En vérité , c’est une horreur.
Dans l’intervalle , une pintade passe,
Dom renard , alors oubliant
Ses belles leçons de morale,
La poursuit, rattrape à l’instant,
Et, sans la plumer, il l’avale.
Quel ami je me faisois là,
Dit le chat, à part soi, voyant cette incartade !
Sans le sçavoir, pour camarade ,
Je m’en apperçois bien, j’avois un Attila!
Quoi ! voilà donc ses maximes austères!
En finissant ces mots, le rominagrobis
A quelques pas découvre une souris,
Saute dessus, & malgré ses prières,
Il en fait un repas, selon lui, très-exquis.
Une araignée, à qui la scène entière
N’échappa point, disoit avec douleur :
Faut-il qu’il existe sur terre
Des animaux à l’instinct destructeur?
Près d’elle un moucheron voletoit; par malheur ,
Dans les rets de la Dame il tombe,
Et sa prison devient sa tombe.
C’est ainsi qu’en autrui tous les jours nous blâmons
Les vices qu’en nos cœurs nous-mêmes nous portons.
“Le Renard et le Chat”