Un renard sortait chaque jour de son terrier pour courir sur les montagnes à la recherche de sa nourriture, et, quand la nuit venait, Il rentrait au gîte. Dans une de ses excursions, il rencontra d’autres renards, et chacun faisait le récit de ce qu’il avait dévoré. « Hier, dit l’un d’eux, j’ai trouvé un onagre bien gras; et j’étais excessivement affamé, car je n’avais rien mangé depuis trois jours. Tout joyeux de ma découverte, je remerciai le Dieu très-haut de m’avoir livré cette pâture; puis je me mis à manger le cœur de l’onagre, et, quand je fus rassasié, je regagnai mon terrier sans manquer de témoigner ma reconnaissance à mon Créateur. Depuis trois jours, il est vrai, je n’ai rien trouvé; mais au moins (Dieu soit béni !) je me suis régalé. » A ce récit, notre renard, jaloux de la bonne fortune de son camarade, se dit en lui-même : « Il faut aussi que je mange le cœur d’un onagre, afin de me régaler comme celui-là. » Cette idée ne cessa de le préoccuper pendant plusieurs jours, à tel point que la fatigue et la faiblesse le forcèrent de renoncer à ses courses et de rester couché dans son terrier. Sur ces entrefaites, des chasseurs, qui étaient partis dans le but de poursuivre la première bête fauve qu’ils rencontreraient, trouvèrent un onagre après avoir passé le jour entier sans rien prendre; et ils se dirent les uns aux autres : » Si nous percions d’une flèche cet onagre, peut-être nous servirait-il à faire quelque capture? » Aussitôt un des chasseurs décocha une flèche acérée, qui, perforant le ventre de l’onagre, atteignit le milieu du cœur et tua l’animal. Or cela se passait près du terrier du susdit renard. Les chasseurs, s’approchant de l’onagre, reconnurent qu’il était mort, et, sans toucher à la flèche dont le bois seul sortait de la blessure, ils le laissèrent en cet état, pensant bien que quelque bête fauve arriverait sur lui et deviendrait pour eux une proie facile; mais jusqu’au soir rien ne parut, et ils s’en retournèrent chez eux. Le renard, qui avait entendu parler d’une pareille chasse aux alentours de son terrier, sortit vers le soir, bien qu’il ne pût se remuer qu’avec peine, et trouvant l’onagre presque à l’entrée du terrier, il fut ravi de joie, et s’écria dans son transport : « Louange à Dieu, qui m’a envoyé de quoi satisfaire mon appétit sans fatigue et sans effort ! Certes, je n’espérais pas rencontrer cet onagre, et c’est Dieu qui l’a nourri à mon intention tout près de mon terrier. » S’acharnant alors sur l’animal, ii lui déchira le ventre et y inséra sa tête en fouillant çà et là, jusqu’à ce qu’il eût atteint le cœur qu’il saisit d’un œil avide avec sa gueule. Mais le fer de la flèche lui demeura dans le gosier sans pouvoir en sortir; et le renard, auteur de sa perte et de son malheur, dit en expirant ; « En vérité, la créature ne doit jamais porter ses désirs au-delà de ce que Dieu lui a départi; car, si je m’étais contenté de mon lot, je n’aurais point couru à ma perte, et c’est à bon droit que je meurs.
“Le Renard puni pour sa gourmandise”