Veut-on posséder sur la terre
Vertus, talents et cœtera,
Il suffit d’être millionnaire,
Sans les avoir on les aura.
Un jour qu’il s’agissait dans une grande ville
De discuter un plan aussi sage qu’utile,
Un homme se présente, il s’avance en tremblant,
Son habit un peu mûr indiquait sur le champ
Que le porteur était ce que partout on nomme
Un imbécile, un rien, un va nu pieds, en somme
Un pauvre, cela dit fout.
A peine eut-il paru qu’on le siffla partout.
On ne comprenait pas qu’un homme de la sorte
Osât parler. Aussi fut-il mis à la porte.
C’était pourtant un érudit
Plein de bon sens et plein d’esprit ;
Mais il avait le tort immense
De n’être point dans l’opulence.
Un autre recouvert du plus beau drap d’Elbeuf
Arrive à la tribune, essoufflé comme un bœuf,
Se présente hardiment à l’auguste assemblée.
Il obtient, c’était sûr, le silence d’emblée.
Il se tient droit et fier, prend un ton insolent
Et jette sur la foule un regard impudent,
Se tourne et se retourne ; il en fait à sa guise,
Débite avec aplomb bêtise sur bêtise,
Tout en blessant la langue et la raison aussi.
Cela n’empêcha pas qu’il ne fut applaudi.
La salle retentit de bravos frénétiques
Faits à rendre jaloux les houras britanniques,
Et quoique très-nuisible au bien de la cité,
On reçut son projet à l’unanimité.
Comme j’étais le seul d’un avis tout contraire,
Un gros voisin me dit d’un air fort en colère :
Vous vous trompez, monsieur, cet homme a bien parlé ;
Il est riche.— Pardon, je l’avais oublié,
Lui dis-je en inclinant la tête,
En vérité je suis bien bête.
“Le Riche et le Pauvre”