Un riche avare écoutoit froidement
Un pauvre laboureur exprimant sa misère,
Sans murmurer contre son dénuement.
Impôts, grêle, corvée, ouvrages sans salaire,
Tous les malheurs enfin l’avoient fait mendiant ;
Mais dans son corps flétri logeoit une âme fière.
Oh ! c’est trop fort, dira certain lecteur !
Donner une âme fière au rustre laboureur,
C’est bien choquer la vraisemblance.
Non, non, celui qui sait supporter l’indigence,
Bénir les cieux dans la calamité,
Repousser avec fermeté
De l’opulent l’injustice ou l’offense,
De l’homme a conservé toute la dignité :
Mais revenons au fait en diligence.
Mon homme demandoit, et bien timidement,
Quelques secours pour lui, ses enfans et sa mère.
Et pourquoi des enfans ? un gueux n’en doit pas faire,
Répliqua d’un ton méprisant
Le financier au coeur de pierre.
Vous autres criailleurs, cachez sous vos haillons,
Souvent des fainéans, plus souvent des fripons.
Travaillez, travaillez ; vite, qu’on se retire.
Moi, travailler, bon dieu ! de foiblesse j’expire.
Je suis un malheureux, et non pas un coquin ;
Mais quand je le serois, hélas ! mourant de faim,
Vos dons auroient leur prix, l’aumône est toujours bonne ;
Et puis sachez, monsieur, que le riche inhumain
Qui se permet l’injure, en refusant du pain,
N’a plus le droit de mépriser personne.
“Le Riche et le Pauvre”
- La Marquise de la Ferrandière, 1736 – 1819