À monseigneur l’ancien évesque
De Fréjus.
Fleuri, nouveau mentor d’un nouveau Télémaque,
Toi, qui le promenant par les siècles passés,
Pour le bonheur d’un autre Itaque,
Rapproches sous ses yeux tant de faits dispersés.
Dans ces sédentaires voyages,
Tu le conduis sans crainte des naufrages,
De païs en païs, cueillant par tout des fleurs ;
Formant, chemin faisant, son esprit et ses mœurs.
Tu sçais lui faire de l’histoire
Une étude féconde, où tout rit, où tout plaît,
Il s’instruit de la vraie et de la fausse gloire ;
À chaque trait dont s’orne sa mémoire,
Dans son cœur quelque vertu naît.
Mais sçais-tu bien sur quoi j’espère
De tes leçons le succès le plus grand ?
C’est qu’en instruisant, tu sçais plaire ;
Tu sçais te faire aimer, et voilà mon garand.
Quand tes sages discours l’invitent
À commencer en lui ce qu’il doit être un jour,
Tes grâces, ta douceur obtiennent son amour ;
Le maître plaît ; les leçons en profitent.
Tu vois voler son estime et sa foi
Au devant des vertus qu’il confond avec toi.
Fais de cet ascendant un usage fidèle.
L’amour qu’il te donne aujourd’hui,
Est la mesure et la source du zèle
Que tout son peuple aura pour lui.
Lassez de vivre en république
Jadis les animaux essayèrent d’un roi ;
Ils firent choix d’un bœuf surnommé pacifique ;
On se promit d’être heureux sous sa loi.
Le monarque nouveau, doux, bienfaisant, affable,
Se fit aimer ; mais ce fut tout.
Il ne sçavoit que plaindre un misérable :
Falloit-il punir un coupable ?
Tout son pouvoir étoit à bout.
Mille petits tirans désoloient sa province ;
Les tigres, les lions enlevoient ses sujets ;
Qu’y faisoit-il ? Il leur prêchoit la paix :
C’étoit pitié qu’un si bon prince.
Bienfaits tant qu’on vouloit, point de punition ;
Partout, indulgences plénières.
On le dépose enfin, pour choisir le lion.
Le nom de conquérant suit cette élection.
Bien-tôt le nouveau roi recule ses frontieres,
Soûmet tous ses voisins à son ambition ;
Fait trembler ses sujets, plus de rebellion :
Mais aussi point d’amour ; il n’inspiroit que crainte.
Sa majesté cruelle et de sang toûjours teinte,
Effrayoit jusqu’à ses flatteurs ;
Sur un soupçon, sur une plainte ;
Malheur aux accusés, même aux accusateurs.
Qu’est ceci, dit le peuple ? Et quel choix est le nôtre ?
La diète a bien mal réüssi ;
De deux rois, pas un bon ; nous ne craignions point l’autre ;
Le moyen d’aimer celui-ci ?
Il ne connoît d’autre loi que sa rage.
Enfin désespéré d’un si dur esclavage,
Sur le Néron des bois tout le peuple courut.
Imaginez-vous le carnage ;
Il en coûta du sang ; mais le tiran mourut.
Alors, ce bœuf si débonnaire,
Qu’on avoit déposé sans qu’il en dit un mot :
Messieurs, dit-il, j’ai trouvé votre affaire ;
Cet éléphant est votre vrai balot.
Il est bon comme moi, terrible comme l’autre ;
Vous serez ses enfans ; il vous défendra bien ;
Je lui donne ma voix, joignez-y tous la vôtre ;
Pour vous régir, que lui manque-t-il ? Rien,
S’écria tout le peuple. On le choisit : son regne
Répara les malheurs passés.
Rois, qu’on vous aime et qu’on vous craigne :
L’un sans l’autre n’est pas assez.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Le Roi des Animaux.