Louis Tremblay, l’Esope chrétien
Un scarabée à taille fine,
Au casque d’or, au corselet d’acier,
Reluisant, cuirassé comme un vrai chevalier
Chevauchant vers la Palestine,
Rencontra sur sa route un lourd colimaçon,
Lequel. — selon l’antique usage
De ses pareils s’en allant en voyage, —
Portait sur son dos sa maison.
Or, bien lente de sa nature,
Se traînait et rampait la pauvre créature…
« Eh ! ne dirait-on pas, à votre air éreinté,
Lui dit le scarabée, à votre lente allure,
Que vous traînez un monde, en vérité.
Votre coquille? Allons! c’est un vrai grain de sable
Léger comme un flocon que le vent fait courir;
Si je portais un faix semblable,
On me verrait avec aller, venir,
Sans rien changer à ma marche ordinaire. »
Or, notre limaçon allait lui répliquer,
Lorsqu’un hasard que rien ne semblait provoquer
Vint se charger d’une réponse claire:
D’un mur voisin
De ce chemin
Où se faisait notre rencontre,
Gomme ils passaient tout contre.
On vit soudain Une main, un bras apparaître,
Qui jetait par une fenêtre
Les restes d’un de ces dîners
Que font quelques pauvres familles ;
C’étaient, — lecteur, vous devinez,—
C’étaient justement des coquilles,
Maisons dont on avait mangé les habitants.
Or une d’elles vint, à temps,
Admirablement bien tombée,
Couvrir en plein notre fier scarabée,
Et le coiffer comme un vrai limaçon.
Mais, bien loin de courir alerte,
Ainsi qu’il en parlait sans gêne, sans façon,
Il resta morne, fixe, Inerte,
Affaissé sous cette maison.
Il put donc méditer en paix cette leçon :
Que le fardeau qu’un autre porte, — arrose
De sueurs ou de pleurs, — comme un poids étranger,
Semble à nos yeux toujours léger :
Le portons-nous, c’est autre chose !
“Le Scarabée et le Colimaçon”
Ils chargent les autres de fardeaux qu’ils ne voudraient toucher du bout du doigt.
(Evangile.)