Chez les singes jadis on écrivait beaucoup,
Les temps sont bien changés, on écrit chez les hommes;
Mais serons-nous toujours ce qu’aujourd’hui nous sommes ?
N’en jurons point ; cela peut changer tout d’un coup.
Déjà… Mais taisons-nous. Je passe à mon histoire.
Que je crois applicable à bon nombre de gens.
Un singe, grand critique, exaltait la mémoire
De singes morts depuis longtemps.
Rien ne semblait pouvoir égaler les mérites
Ni les services éclatants
Des Aristotes, des Tacites
Du peuple singe : ils étaient grands,
Purs, chaleureux, naïfs, enfin inimitables.
Les modernes n’étaient, auprès,
Que des écrivains détestables,
Que des ânes, des perroquets.
Quelqu’un s’écria • — Quel dommage
Que ce singe ne soit pas né
Parmi les singes d’un autre âge,
Et qu’à vivre aujourd’hui le sort l’ait condamné !
Ah ! comme il eût servi la gloire
De ces écrivains du vieux temps !
Plusieurs sont morts obscurs ; au temple de mémoire.
Il les eût portés triomphants. —
— Hélas! mon pauvre ami, quelle erreur est la vôtre !
Dit un singe caustique à l’autre ;
Il les eût accablés, ces auteurs si brillants.
Si les nouveaux auteurs, selon lui, sont bien ternes,
S’il repousse ceux-ci, fait de ceux-là les siens.
Croyez-le, ce n’est point estime des anciens,
Ce n’est que haine des modernes. —
On ne fait nos pères si grands,
Que pour amoindrir leurs enfants.
“Le Singe critique”
- Alexis Rousset , 1799 – 1885