Théodore Lorin
Poète et fabuliste XIXº – Le Singe et la Lanterne magique
Le Singe et la Lanterne magique
Sous les ordres d’un bateleur,
Bertrand, prodige de souplesse,
Charmait maint et maint spectateur
Par ses grâces, sa gentillesse.
Du démon de l’orgueil il se laissa tenter.
A cette dangereuse ivresse
Les animaux de notre espèce
Parfois ont peine à résister :
Devons-nous exiger que de cette faiblesse
Un pauvre singe soit exempt?
Aux singes ses amis le célèbre Bertrand
Voulant faire admirer ses talents, son génie.
Un beau matin, son maître étant absent,
Réunit au logis nombreuse compagnie.
Faut-il vous dire de quels tours
Il régala l’honorable assistance?
Devant eux avec soin il répéta la danse
Qu’il exécutait tous les jours.
Tantôt on le voit en cadence
Porter l’arme, marcher au pas,
Bref, imiter la mâle contenance
De nos intrépides soldats.
Ensuite, il fait le mort, et par son feint trépas,
A ses amis il arrache des larmes;
Mais aussitôt dissipant leurs alarmes,
Sans balancier, d’un pied léger
Sur la corde tendue on le voit voltiger.
De ces tours surprenants la troupe émerveillée,
Par de longs applaudissements
Accueille le nouveau Protée *,
Oui promène sur l’assemblée
Des regards fats et suffisants;
Car il ne péchait pas par trop de modestie.
Charmé de voir ainsi son adresse applaudie,
Pour entretenir les élans
De l’admiration publique,
Notre magot voulut aux assistants
Montrer la lanterne magique.
D’abord, il fait régner sur la société
La plus profonde obscurité :
Puis, déployant toute sa rhétorique,
« Attention, dit-il. Messieurs! Premier tableau
Admirez le soleil, la lune, les étoiles;
Voyez plus loin ce superbe vaisseau
Sur le vaste océan voguant à pleines voiles :
Voyez encore… » Il s’embrouilla si bien
Qu’à sa harangue on ne comprit plus rien.
On n’en voyait pas davantage,
Le démonstrateur ignorant
N’ayant pas éclairé le magique instrument,
Comme l’on sait que c’est l’usage.
Et cependant, de peur de passer pour des sots,
Tout en bâillant d’ennui, les pauvres animaux
N’osaient a leur ami refuser leur suffrage.
Sans les voir, ils vantaient ses merveilleux tableaux :
Sans les entendre, à ses bons mots
Ils souriaient; mais de ce bavardage
On se lassait enfin, lorsque de son voyage
Revint le maître bateleur.
« Parbleu ! dit-il, tu nous la bailles belle,
Sot animal ! tu veux aux yeux du spectateur
De l’optique étaler le spectacle enchanteur,
Et tu n’allumes pas seulement la chandelle! »
Tel, un obscur et fantastique auteur
Audacieusement débite à son lecteur
Mainte emphatique faribole.
On n’ose pas traiter de galimatias
Ses discours ampoulés que l’on ne comprend pas,
Et l’on trouve plus court d’admirer sur parole.
* On m’a observé que celle fable avait un air de famille avec la Lanterne magique de Florian. La raison est simple ; nous avons puisé à la même source: les Fables d’Iriarte. (Le Singe et la Lanterne magique)
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