C’était chez les Grecs un usage
Que sur la mer tous voyageurs
Menaient avec eux en voyage
Singes et Chiens de Bateleurs.
Un Navire en cet équipage
Non loin d’Athènes fit naufrage,
Sans les Dauphins tout eût péri.
Cet animal est fort ami
De notre espèce : en son histoire
Pline le dit, il le faut croire.
Il sauva donc tout ce qu’il put.
Même un Singe en cette occurrence,
Profitant de la ressemblance,
Lui pensa devoir son salut.
Un Dauphin le prit pour un homme,
Et sur son dos le fit asseoir
Si gravement qu’on eût cru voir
Ce chanteur que tant on renomme.
Le Dauphin l’allait mettre à bord,
Quand, par hasard, il lui demande :
« Etes-vous d’Athènes la grande ?
– Oui, dit l’autre ; on m’y connaît fort :
S’il vous y survient quelque affaire,
Employez-moi ; car mes parents
Y tiennent tous les premiers rangs :
Un mien cousin est Juge-Maire. »
Le Dauphin dit : « Bien grand merci :
Et le Pirée a part aussi
A l’honneur de votre présence ?
Vous le voyez souvent ? je pense.
– Tous les jours : il est mon ami,
C’est une vieille connaissance. »
Notre Magot prit, pour ce coup,
Le nom d’un port pour un nom d’homme.
De telles gens il est beaucoup
Qui prendraient Vaugirard pour Rome,
Et qui, caquetants au plus dru,
Parlent de tout, et n’ont rien vu.
Le Dauphin rit, tourne la tête,
Et, le Magot considéré,
Il s’aperçoit qu’il n’a tiré
Du fond des eaux rien qu’une bête.
Il l’y replonge, et va trouver
Quelque homme afin de le sauver.
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 4…..Etroites. La rime veut qu’on prononce étrettes,
comme on le faisait autrefois, et comme on le fait encore en certaines provinces. C’est une indulgence que les poètes se permettent encore quelquefois. «
V. 17. Plus d’un guéret s’engraissa.
Ce ton sérieux emprunté des récits dé bataille d’Homère, est d’un effet piquant, appliqué aux rats et aux belettes.
V. 50. N’est pas petit embarras.
Il fallait s’arrêter à ces deux vers faits pour devenir proverbe. Les six derniers ne font qu’affaiblir la pensée de l’auteur. (Le Singe et le Dauphin)
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Que sur la mer tous voyageurs
Menaient avec eux en voyage. On a quelque droit de s’étonner qu’un semblable pléonasme ait échappé au goût délicat et sévère de notre poète ; oui sévère ; car un des génies les plus faciles que la littérature française puisse vanter, en est aussi un des plus corrects.
Le Singe et le Dauphin, par J. J. Grandville
(2) En son histoire
Pline le dit ; il le faut croire. Nous avons de Pline , surnommé l’ancien, une Histoire naturelle en 37 livres. Pline le jeune, son neveu, prévint le jugement de la postérité, en disant de cet ouvrage, qu’il était d’une étendue, d’une érudition infinies, et presque aussi varié que la nature elle-même. Ce qu’il a dit du Dauphin dans cet ouvrage, un des plus précieux monuments de l’antiquité, il l’avait pris d’Aristote, dans son Histoire naturelle des Animaux, comme le savant Gessner l’a observé (de Delph. Litt. D.). La Fontaine qui n’en croyait rien, invite, avec une admirable simplicité, ses lecteurs à le croire.
(3) Ce chanteur que tant on renomme. Arion, menacé par des matelots qui en voulaient à sa vie, obtient la grâce de chanter sur sa lyre. Emus par son chant, des Dauphins accourent : le musicien alors s’élance dans la mer ; les poissons le reçoivent sur leur dos, et le portent au rivage. Cette histoire est racontée par Plutarque, dans son Banquet des sept Sages, par Ovide; au IIe. Liv. de ses Fastes , d’après Hérodote.
(4) Et le Pyrée. Port d’Athènes.