Un singe ayant trouvé sous, sa patte un miroir,
Ce fanfaron, que la nature
Fit assez curieux, s’arrêta pour y voir
Comment il avoit la figure.
Mais en voyant son mufle noir,
Son front ridé, sa mine grimacière,
Ses petits yeux et son menton pointu,
Enfin tout son individu,
Aussitôt bouillant de colère :
« Qui m’empêche, insolent, dit-il,
De te mettre en cent et cent pièces ?
C’est à quelque vivant, novice et moins subtil,
Aux badauds des autres espèces
Que tu peux t’adresser et leur jouer des pièces.
Mais à moi ! ventrebleu !… » — « Seigneur Bertrand, tout beau !
Dit le miroir d’un ton tranquille,
Ne vous échauffez pas la bile
Et ménagez votre petit cerveau.
Je ne suis point flatteur, ami, je représente
Les choses tout au naturel,
Qu’on s’en fâche ou qu’on s’en contente.
Si vous étiez gentil, chez moi vous seriez tel
Que cet épagneul, par exemple,
Plus aimable que vous et de mine et d’humeur,
Dans ma glace un peu se contemple,
Il dira si je suis menteur.
Il s’y verra coiffé d’une paire charmante
D’oreilles faites au pinceau,
Et vêtu, sans parler de son joli museau,
D’une robe de soie avec grâce flottante.
Mais enfin je ne puis, dussiez-vous me briser,
Faire un Adonis d’un Thersite.
Sur un mérite en l’air on aime à s’abuser,
Et nul n’en croit avoir une dose petite ;
Mais-qui veut qu’on le flatte avec grand soin m’évite. »
Ainsi, sous diverses couleurs ;
L’ingénieuse comédie
Sans affectation copie
De l’homme en général les défauts et les mœurs.
Son sel réjouissant, sa morale ingénue
Plaît à l’esprit, l’émeut, l’instruit à chaque trait,
Et, sans qu’elle ait personne en vue,
Chacun y trouve son portrait.
“Le Singe et le Miroir”