C’était l’été, et l’on célébrait les noces du Soleil. Tous les animaux se réjouissaient de l’événement, et il n’était pas jusqu’aux grenouilles qui ne fussent en liesse. Mais l’une d’elles, s’écria : « Insensées, à quel propos vous réjouissez-vous ? A lui seul, le Soleil dessèche tous les marécages ; s’il prend femme et fait un enfant semblable à lui, que n’aurons-nous pas à souffrir ? »
Beaucoup de gens à tête légère se réjouissent de choses qui n’ont rien de réjouissant.
- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Ranae ad Solem
Vicini furis celebres vidit nuptias
Æsopus, et continuo narrare incipit:
Uxorem quondam Sol cum vellet ducere,
Clamorem Ranæ sustulere ad sidera.
Convicio permotus quærit Jupiter
Causam querellæ. Quædam tum stagni incola
Nunc inquit omnes unus exurit lacus,
Cogitque miseras arida sede emori.
Quidnam futurum est si crearit liberos?
- Phedre – (14 av. J.-C. – vers 50 ap. J.-C.)
Le Soleil et les Grenouilles
Esope voyait les noces magnifiques d’un voleur, son voisin: il se mt aussitôt à raconter cette fable:
Le Soleil voulut un jour prendre femme : les Grenouilles poussèrent de grands cris jusqu’au ciel. Jupiter, assourdi de leurs clameurs, en demanda la cause. « Un Soleil, dit alors une habitante des étangs, suffit maintenant pour tarir nos marais, et nous faire périr misérablement dans nos demeures desséchées : que sera-ce s’il lui vient des enfants? »
- Fable de Phedre traduite par Ernest Panckoucke (1808 – 1886)
Dou Solaus qui volst Famé prendre
Par essample fais ci entendre
Que li Soluex volt Fame prendre ;
A tute Créature dist
Que chascune se purvéist.
Les Criatures se asamblèrent,
A le Destinée en alèrent ;
Si li moustrèrent dou Soulueil
Ki de Fame quereit cunseil.
La Destinée lur cummande
Ke voir dient de la demande ,
E ce k’avis lur en esteit ;
Cele parla ki mielx saveit ;
Quant li Solaiz , fet-ele, est hauz
Où tans d’estei si est si chauz
Que rienz ne laist fructifier,
E terre è herbe fet séchier ;
E se il ad efforcement
E cumpaignie à sun talent
Nule riens nel’ purreit suffrir
Ne souz lui vivre ne garir.
La Destinée dune respundi,
Veir avez dit, leissuns ensi
Cum il a estée grant tens a
Kar jà par mei n’enforcera .
moralité.
Ainsi chasteie li plusor (*)
Ki seur eaus mettent mal Signors ;
Ki ne les deivent enforcier ,
N’a à plus forz d’eaus acompaignier
Par lur sens , ne par lur avoir ,
Mes desturbier à lur pooir ;
Cum plus est fort è pis lur fait
Tuz-jurs lur est de mal agait.
- Marie de France – (1160 – 1210)
Le Soleil et les Grenouilles
Aux noces d’un tyran tout le peuple en liesse
Noyait son souci dans les pots.
Ésope seul trouvait que les gens étaient sots
De témoigner tant d’allégresse.
Le Soleil, disait-il, eut dessein autrefois
De songer à l’hyménée.
Aussitôt on ouït, d’une commune voix,
Se plaindre de leur destinée
Les citoyennes des étangs.
«Que ferons-nous, s’il lui vient des enfants?
Dirent-elles au Sort: un seul Soleil à peine
Se peut souffrir. Une demi-douzaine
Mettra la mer à sec et tous ses habitants.
Adieu joncs et marais : notre race est détruite;
Bientôt on la verra réduite
A l’eau du Styx. » Pour un pauvre animal,
Grenouilles, à mon sens, ne raisonnaient pas mal.
- Jean de la Fontaine – (1621 – 1695)