Aux noces d’un Tyran tout le Peuple en liesse
Noyait son souci dans les pots.
Esope seul trouvait que les gens étaient sots
De témoigner tant d’allégresse.
Le Soleil, disait-il, eut dessein autrefois
De songer à l’Hyménée.
Aussitôt on ouït d’une commune voix
Se plaindre de leur destinée
Les Citoyennes des Etangs.
Que ferons-nous, s’il lui vient des enfants ?
Dirent-elles au Sort, un seul Soleil à peine
Se peut souffrir. Une demi-douzaine
Mettra la Mer à sec et tous ses habitants.
Adieu joncs et marais : notre race est détruite.
Bientôt on la verra réduite
A l’eau du Styx. Pour un pauvre Animal,
Grenouilles, à mon sens, ne raisonnaient pas mal.
Analyses de Chamfort – 1796.
V. dernier…..Pour un pauvre animal ,
Grenouilles , à mon sens, ne raisonnaient pas mal.
Voici une de ces vérités épineuses qui ne veulent être dites qu’avec finesse et avec mesure. La Fontaine y en met beaucoup ; et ce dernier vers, malgré son apparente simplicité, laisse entrevoir tout ce qu’il ne dit pas. Cela vaut mieux que, notre ennemi, c’est notre maître.
« Les grenouilles, habitantes des marais, race ambiguë, moitié terrestre et moitié aquatique, née dans la fange, avaient vu prospérer leur Etat, grâce à la protection du Soleil. C’était par son secours qu’elles avaient chassé les taureaux qui paissaient au bord de leurs marais… Elles avaient même osé aborder la vaste mer, et souvent elles avaient provoqué et vaincu les poissons les plus formidables. Elles devinrent orgueilleuses, et, ce qui est pis, ingrates. Elles commencèrent à être jalouses de la gloire du Soleil et à regarder de mauvais œil l’astre qu’adore l’univers… Elles l’insultent par leurs classements et leurs clameurs; elles osent même le menacer; elles lui signifient qu’il ait à s’arrêter dans sa course céleste, et, comme le Soleil continuait à éclairer le monde de ses feux, elles s’efforcent d’entraver sa marche. Elles agitent la vase de leurs marais et la font bouillonner : une noire vapeur s’élève du fond des marécages et cache la lumière du jour sous un épais nuage. Le roi des astres sourit de cette insolence : Vos traits retomberont sur votre tête, dit-il; et, rassemblant ses rayons dispersés sur le monde, il change ces noires vapeurs en foudre et en grêle retentissante. Les Grenouilles sont accablées par une épouvantable tempête. Eu vain, elles cherchent à se cacher sous leurs joncs épais; en vain elles s’enfoncent dans la vase pour échapper au désastre : le Soleil brûle tout par ses feux et dessèche les marais qui leur servaient de refuge. Les Grenouilles périssent sous ces traits enflammés, et deviennent la proie des milans et des corbeaux. Alors une d’entre elles, plus sage que les autres, dit en mourant : Nous sommes justement punies d’avoir payé les bienfaits par l’insulte. Puissent nos malheurs avertir nos descendants de respecter les dieux ! »
Analyses de Louis Émile Dieudonné Moland, 1872 .
FABLE XXIV. Le Soleil et les Grenouilles. Le P. Commire, Sol et Ranae. La fable latine fut d’abord imprimée sur une feuille volante avec ce titre : Appendix ad fabulas Phœdri, ex bibl, Leidensi, etc. Parisiis, 1672, in-8°.
« La fable du P. Commire est une satire contre la Hollande qui s’alarmait pour son indépendance des conquêtes que Louis XIV avait faites en Flandre. Changeant de parti, elle devint ralliée de l’Espagne, qu’elle ne craignait plus, et l’ennemie de la France, dont elle redoutait la domination. La vanité nationale de la France se blesse aisément, et, comme l’orgueil de Louis XIV, qui s’irritait de se voir contrarié par ce petit État, s’accordait avec la vanité nationale, ce fut partout un concert de reproches contre les Hollandais. Tous les poètes du temps attaquèrent à l’envi ces républicains qui ne voulaient pas sacrifier à la France l’indépendance qu’ils avaient conquise sur l’Espagne. Le P. Commire fit sa fable qui eut un grand succès...Lire la suite…
Notes :
« Cette allégorie est froide, outre qu’elle est injurieuse. A force de songer aux Hollandais, Commire a oublié qu’il s’agissait des grenouilles dans sa fable,et que leurs guerres avec les taureaux et avec les poissons Choquaient la vraisemblance. La Fontaine, qui. en mettant des animaux en scène au lieu d’hommes, a toujours eu soin de ne pas forcer leur nature, n’a pas fait des grenouilles du P. Commire les adversaires des taureaux et des poissons: il se contente de dire qu’avec les cris qu’elles poussaient contre le soleil, on ne pouvait dormir en paix. Il a ôté à l’allégorie du père jésuite ce qu’elle avait de pompeux et de faux; il est plus simple, mais il n’est ni piquant ni gracieux1. »
1. Sain-Marc Girardin. La Fontaine et les Fabulistes, tome II, p. 219-224.