Louis de Combettes-Labourelié
Poète, écrivain et fabuliste XIXº – Le souhait
L’homme est méchant, jaloux du bien d’autrui ;
Rien ne lui pèse tant que le bonheur d’un frère ;
Avec plaisir, souvent il souffre la misère,
Quand il voit son prochain plus accablé que lui.
Deux malheureux, au maître du tonnerre,
Un jour, en gémissant, adressèrent leurs vœux :
« Jupiter, » disaient-ils, « sur cette pauvre terre,
A ton gré tu fais des heureux.
Jette les yeux sur nous ; depuis notre naissance,
Jamais un seul beau jour sur notre front n’a lui.
Nous n’avons jusqu’ici connu que la souffrance
Oh ! père des humains, souris-nous aujourd’hui. »
Jupiter était bon, plein de miséricorde,
Mais des dieux de sa cour l’éternelle discorde
Aigrissait son humeur, irritait son ennui
Et le rendait souvent injuste malgré lui.
Or, ce jour-là, par aventure,
L’Olympe était en paix. Amusé par Mercure,
Argus n’avait pas trop grondé ;
Bacchus, gaillardement, trinquait avec Silène ;
Vénus rêvait au ravisseur d’Hélène,
Et Junon n’avait pas boudé.
Bref, Jupiter était dans un jour de bonace.
« Eh bien, soit ; » leur dit-il, « j’accorde cette grâce :
» Que l’un de vous exprime un vœu ; je fais serment
» De le satisfaire à l’instant ; »
Mais aussitôt celui qui, gardant le silence,
» Ne m’aura pas sollicité, »
Recevra deux fois plus de ma munificence.
» Parlez ! telle est ma volonté. »
A cet arrêt, nos deux compères
Se trouvent fort embarrassés.
L’un dit à l’autre : — « Eh bien, toi qui de nos misères
Te plaignais le plus fort, nous sommes exaucés.
Parle donc le premier, fais un vœu d’importance.
— Oh ! je n’en ferai rien ; c’est bien à toi. Commence.
— Je ne parlerai point. — Moi non plus. — Entêté !
— Égoïste ! — Envieux ! — Sot ! — Brigand ! — Effronté ! »
Déjà nos deux amis, dans leur stupide ivresse,
S’étaient avec fureur saisis par les cheveux,
Quand l’un deux s’écria : « Jupin, tiens ta promesse,
Fais-moi crever un œil : lui les perdra tous deux ! »
Louis de Combettes-Labourelié (1817-1881), Le souhait