Un bloc de marbre était si beau
Qu’un Statuaire en fit l’emplette.
Qu’en fera, dit-il, mon ciseau ?
Sera-t-il Dieu, table ou cuvette ?
Il sera Dieu : même je veux
Qu’il ait en sa main un tonnerre.
Tremblez, humains. Faites des vœux ;
Voilà le maître de la terre.
L’artisan exprima si bien
Le caractère de l’Idole,
Qu’on trouva qu’il ne manquait rien
A Jupiter que la parole.
Même l’on dit que l’ouvrier
Eut à peine achevé l’image,
Qu’on le vit frémir le premier,
Et redouter son propre ouvrage.
A la faiblesse du sculpteur
Le Poète autrefois n’en dut guère,
Des dieux dont il fut l’inventeur
Craignant la haine et la colère.
Il était enfant en ceci :
Les enfants n’ont l’âme occupée
Que du continuel souci
Qu’on ne fâche point leur poupée.
Le cœur suit aisément l’esprit :
De cette source est descendue
L’erreur païenne, qui se vit
Chez tant de peuples répandue.
Ils embrassaient violemment
Les intérêts de leur chimère.
Pygmalion devint amant
De la Vénus dont il fut père.
Chacun tourne en réalités,
Autant qu’il peut, ses propres songes :
L’homme est de glace aux vérités ;
Il est de feu pour les mensonges.
En louant Dieu de toute chose,
Garo retourne à la maison.
Commentaires et analyses par Chamfort . 1796.
Un statuaire qui fait une statue, et voilà tout ; ce. n’est pas-là le sujet d’un Apologue : aussi cette prétendue fable n’est-elle qu’une suite de stances agréables et élégantes. Tout le monde a retenu la dernière.
Chacun tourne en réalités , Autant qu’il peut ses propres songes. L’homme est de glace aux vérités , Il est de feu pour les mensonges.
Le mouvement : il sera Dieu, appartient à un véritable enthousiasme d’artiste. Aussi La Fontaine remarque-t-il que la statue était parfaite.
Je ne sais pourquoi La Fontaine fait souvent le mot poète de deux syllabes.
Boileau et ses contemporains ne lui en donnent jamais que deux. (Le Statuaire et la Statue de Jupiter)