Félix MOUSSET
Un taon venait de remporter victoire
Sur des taureaux superbes et musclés ;
Dans le pays on racontait l’histoire,
Les laboureurs en étaient affolés.
Ils n’étaient point au labour d’aventure
Une heure au plus, qu’une horrible piqûre
Surexcitant les pauvres animaux,
Les contraignait d’arrêter leurs travaux.
Le taon, gonflé du sang de ses victimes,
Alla quérir autre fortune ailleurs :
« Nous trouverons à prélever des dîmes
Plus loin, dit-il, chez d’autres travailleurs… »
Une araignée industrieuse et vive.
Qu’on aurait pu sous le doigt écraser,
Avait tendu de l’une à l’autre rive
Mille filets ténus sans se lasser ;
Enchevêtrés, embrouillés à merveille,
Si fins que nul ne pouvait, sans savoir,
Sans y veiller, les bien apercevoir.
Or, l’araignée en tapinois surveille
Et tout à coup un grand ébranlement
Se produisit dans le frôle instrument ;
On aurait cru que la toile légère
En cent morceaux tombait dans la rivière :
C’était le taon, avide de butin,
Dans son ardeur devançant le matin,
Vers d’autres champs, plein d’instincts sanguinaires,
Allant chercher ses succès ordinaires.
Il se sent pris : « Bah ! Dit-il, ce n’est rien,
En un coup d’aile on s’en pourra défaire. »
Plus il remue et plus dans le lien
Le pauvre taon est saisi bel et bien.
« Quoi ! J’ai bravé des monstres formidables,
Hommes armés et taureaux en fureur,
Et je suis pris dans ces fils misérables,
Paralysant ma force et ma vigueur 1
— Quoi d’étonnant? Répondit l’araignée ;
Ne faut-il pas que je vive aussi, moi ?
Si de poison ta piqûre imprégnée
Môme aux humains peut causer de l’effroi,
Avec un fil je suis plus fort que toi. »
Moralité
Rien ne prévaut, ni la meilleure lame,
Ni le courage ou la valeur,
Ni violence, ni fureur.
Contre l’ignoble fil d’une hypocrite trame.
“Le Taon et l’Araignée”