Par ses mugissements appellant sa compagne,
Un taureau vigoureux erroit dans la campagne.
C’étoit avant l’aurore ; et de l’astre du jour
Mille oiseaux dans leurs chants annonçoient le retour.
En sursaut réveillée une chenille verte
S’écria : « Qui peut donc nous faire tant de bruit ?
En vérité, j’en ai la tête ouverte.
Je n’ai pas dormi de la nuit ;
Se taira-t-on bientôt ? Oses-tu, téméraire,
Invisible fantôme, oses-tu me troubler ! »
« Qui t’a permis de me parler ?
Qui que tu sois, redoute ma colère,
Dit d’une forte voix le taureau furieux.
Quoi ! tu ne me vois pas avec tes deux gros yeux ?
C’est moi. Je suis pourtant d’un assez gros corsage.
On doit me distinguer à travers le feuillage ;
Je suis d’un plus beau vert, et j’en fais vanité. »
« Eh bien ! me sais-tu gré de t’avoir arrêté ?
Ne valois-je pas bien la peine d’être vue ? »
Le taureau, l’ayant apperçue,
Ne songea plus à l’écraser.
Seulement, pour s’en amuser,
A sa vaine impudence il veut mettre des bornes :
Il agite à plaisir la branche entre ses cornes,
Sans nullement se courroucer.
Bientôt, tout étourdi, l’insecte tombe à terre.
D’un sot orgueil c’est le sort ordinaire ;
On se plaît à le rabaisser.
“Le Taureau et la Chenille verte”