Grossi par le tribut qu’apportent les nuages,
Et les neiges qui se fondaient,
Un torrent furieux dont les eaux débordaient
Portait au loin l’effroi, la mort et les ravages.
Les bergers fuyaient effrayés;
Les troupeaux et les chiens ensemble étaient noyés,
Et les habita us des villages
Couraient à pas précipités
Chercher un sûr asile au milieu des cités.
Ainsi nous avons vu naguère
La Discorde, allumant les flambeaux de la guerre,
Jusques sur la chaumière étendre ses fléaux ;
Couverts de sang, les conquérans superbes
Du laboureur incendiaient les gerbes,
Et portaient la terreur dans le sein des hameaux.
Combien de femmes éplorées
Allaient chercher d’antres contrées,
Et rencontraient à chaque pas
L’appareil du carnage et l’horreur du trépas !
Ainsi fuyait leur demeure champêtre,
Les habitans des bords de ce torrent
Rencontraient la mort en courant;
Et par l’onde entraînés, du toit qui les vit naître
Ne pouvaient détacher un œil presque mourant.
Mais cependant l’hiver s’écoule :
La terre lève au ciel ses yeux couverts de pleurs :
Le doux printems lui rend ses riantes couleurs,
Les fleurs par tout naissent en foule.
Le torrent moins rapide est rentre dans son lit :
Il n’exerce plus de ravages ;
Les arbres sont déjà tout couverts de feuillages,;
Le rossignol s’en applaudit,
Et les oiseaux dans les bocages
Commencent à bâtir leur nid.
L’été vient à grands pas; le torrent diminue ;
Et les troupeaux d’en approcher,
Et les bergers de rechercher
Et l’ombre et la fraîcheur sur ses bords répandue.
Son cours est doux… la chaleur continue,
Devient brûlante et va tout dessécher !
Le gazon meurt: adieu l’ornement des prairies,
Beaucoup de sources sont taries,
Le torrent n’a plus qu’un peu d’eau ;
C’est maintenant un limpide ruisseau,
Mais il ne détruit rien ; au contraire, son onde
En courant arrose et féconde
Les champs, les prés et les vergers ;
On aime à voir son cours : chacun s’y désaltère,
Et le chasseur et la bergère ,
Et les troupeaux et les bergers.
La grandeur trop souvent repousse l’infortune ;
Son aspect, hélas! l’importune ;
Elle est semblable a ce torrent
Qui ravage tout en courant:
Mais si du sort la main l’accable,
Elle devient humaine , secourable.
O Grands! quand vous voulez retrouver votre cœur,
Faites l’épreuve du malheur.
Damon a l’air d’un réprouvé ;
Chacun le fuit: on le hait, on l’abhorre.
— Mais d’où vient donc qu’il vit encore ?
— C’est que le mépris l’a sauvé.
“Le Torrent devenu Ruisseau”