Fait prisonnier
Dans un combat sanglant et meurtrier,
Un malheureux trompette
Avait au plus haut point, comme on dit, la venette* :
Le pauvre diable, envisageant la mort,
Tremblait comme une feuille, et n’avait guère tort.
— Braves gens, disait-il, oh ! je vous en supplie,
Ne m’ôtez pas injustement la vie :
Innocent, s’il en fut, et bien inoffensif,
En quoi serais-je donc fautif ?
Bien que serviteur de Bellone,
Je n’ai jamais tué personne,
Ni bien mieux blessé seulement.
Sans arme, avec un instrument
Frêle comme le mien, que voulez-vous qu’on fasse ?
Au plus… une menace.
Daignez donc m’épargner, grâce à mon innocence ?
— C’est on ne peut mieux dit, répondit l’assistance,
Mais ne sonnais-tu pas la charge avec entrain ;
Et, redoublant le pas, ta trompette à la main,
Ne conduisais-tu pas, enflammant leur courage,
Au combat tes soldats tout frémissants de rage ?
Dès lors, n’as-tu pas fait, misérable animal,
Avec ton instrument mille fois plus de mal
Qu’avec l’arme la plus terrible ?
Tu ne peux le nier, la chose est trop sensible ;
Si donc, n’ayant point d’arme, et manquant de vertu,
Tu n’as pas, il est vrai, toi-même combattu,
En place, n’as tu pas fait combattre les autres
Et détruire par là nombre et nombre des nôtres ?
Meurs donc homme pervers, méchant et dangereux,
Pour expier ainsi tes forfaits monstrueux.
L’instigateur du mal est cent fois plus coupable
Que celui qui le fait ; dès lors, le misérable
Doit être châtié bien plus sévèrement
Que l’humble malfaiteur, son aveugle instrument.
*Peur.
“le trompette fait prisonnier”