André-Clément-Victorin Bressier
Pourquoi ton aspect odieux
Vient-il troubler ma rêverie,
Reptile impur, dont les plis sinueux
Souillent l’herbe de la prairie ?
Je vais… Qui me fait hésiter ?
N’es-tu pas inutile ?… et malfaisant peut-être ?
De ton destin je suis le maître,
Tu mourras sous mes pieds, rien ne peut m’arrêter.
Ainsi d’un être faible, incapable de nuire,
Tyran capricieux, je prononce l’arrêt ;
Quel est donc le penchant qui me porte à détruire
Sans besoin et sans intérêt ?
Malheureux vermisseau, m’as-tu fait quelque offense ?
Quel dommage commis ai-je à te reprocher ?
Dépourvu des moyens d’attaque et de défense,
Tu n’as qu’un seul instinct, et c’est de te cacher.
Ramper, telle est la loi que te fit la nature,
Déshérité de ses bienfaits,
Au sein de ta retraite obscure,
Inaperçu, tu vis en paix ;
Un peu de boue est ton palais,
Un brin d’herbe ta nourriture.
Tu n’as point mérité la mort,
Et si je te prends pour victime,
J’userai du droit du plus fort ;
Ta faiblesse, voilà ton crime.
Non, j’abjure un dessein cruel,
Et je respecte en toi l’œuvre de l’Éternel.
Le pouvoir qui créa Newton et son génie,
T’a jeté, comme lui, dans ce vaste univers
Dont le plus vil insecte entretient l’harmonie ;
Point d’anneau superflu dans la chaîne qui lie
D’un ouvrage si beau les éléments divers.
Remplis donc jusqu’au bout ton humble destinée,
Et conserve paisiblement
La place qu’ici-bas Dieu même t’a donnée.
Mais fuis, de tes replis presse le mouvement,
Hâte-toi, disparais sous l’herbe ;
Crains qu’un autre mortel insensible et superbe
De son pied dédaigneux ne t’écrase en passant.
“Le Ver de terre”