Un ver luisant, dans le fond d’un jardin,
Jettoit une foible lumière ;
Il éclairoit pourtant toute une fourmilière
Qui l’admiroit comme un être divin.
Enorgueilli de voir qu’on l’idolâtre,
Il veut briller sur un plus grand théâtre.
Bientôt traversant le jardin,
Guidé par son audace vaine,
Dans un salon voisin,
A grand peine il se traîne.
Là des lustres brillans suspendus au lambris,
Offusquent ses yeux éblouis.
Il se remet pourtant, ose lever la crête ;
Mais c’est là que sa mort s’apprête.
Du phosphore rampant l’éclat a disparu.
En vain il dresse & la queue & la tête :
L’insecte est écrasé, sans même être apperçu.
Que de gens d’un mérite mince,
Vantés, prônés dans leur pays,
Quittent tous les jours leur province
Pour essuyer même sort à Paris !
“Le Ver luisant” M. L’Abbé de Voisenon, Mercure de France , décembre 1760
Claude-Henri de Fusée de Voisenon – 1708 – 1775