Un jeune bachelier rempli de suffisance,
Espèce assez commune, au siècle où nous virons,
Avait fait d’un vieillard l’utile connaissance,
Dont il pouvait tirer d’excellentes leçons.
Que dis-je, des leçons, au bon temps où nous sommes
Les enfants à vingt ans se croient déjà des hommes?
Comment oser douter de leur sagacité ?
Nos deux amis vivaient en grande intimité.
Ils discutaient surtout, le grave le futile,
Et toujours le vieillard, le dire est inutile,
Se trouvait avoir tort. Il arriva qu’un jour
On parla droit civil : ce dernier à son tour,
Pensa qu’à ce sujet sa longue expérience,
A son rude adversaire imposerait silence,
Il se trompait; encor notre jeune bavard,
Tout rayonnant d’orgueil, répondit au vieillard :
—Vous ne pouviez, mon cher, aborder une thèse,
Sur laquelle je puis discuter plus à l’aise.
— Et le voilà parlant pendant une heure au moins,
Sur les lois des Hébreux, des Grecs ou des Romains.
Bref, il conclut ainsi :— Chez nous tout est à faire,
Un changement complet est chose nécessaire.
Convenez qu’ici bas tout est vieux, gâté.
— Pourquoi? C’est qu’au progrès on n’a que résisté.
— Démolir est fort bon, mais que mettre à la place,
Dit le vieillard.— Comment ? cela vous embarrasse ?
— Un peu; si je détruis ma maison aujourd’hui,
Ne dois-je pas d’abord m’assurer un abri ?
Jusqu’à présent j’ai cru, voyez mon innocence,
Que la lenteur était la véritable essence
De tout progrès.— Erreur.— J’ignore jusqu’ici
Quelle est votre doctrine.— En deux mots, la voici :
Il faudrait qu’on vécût, comme a vécu l’apôtre,
Que le mien et le tien fissent place à le nôtre,
Que les dogmes si purs que le maître divin
A depuis si longtemps légués au genre humain,
Fussent enfin suivis. C’est alors que sur terre,
Chacun dans son prochain ne verrait plus qu’un frère.
Alors plus de ces rangs, ni de ces dignités,
Par l’égoïsme seul et l’orgueil inventés.
Tous vivraient en commun… c’est la loi de nature ;
Un jour cela viendra, c’est moi qui vous l’assure.
—Ma foi, mon cher ami, je vous fais compliment,
Dit le malin vieillard, sur votre beau talent.
Ces sages si vantés pour leurs œuvres si belles,
Sont, comparés à vous, de bien pauvres cervelles.
Leurs écrits, c’est certain, ne donnent rien de bon,
Ils parlent de vertu 6ans rime, ni raison.
Je suis de votre avis ; semblable à la rivière,
Le progrès ne peut pas revenir en arrière,
Et comme, d’après vous, il s’avance à grands pas,
J’espère, avant ma mort, voir enfin ici-bas,
Supprimer pour toujours, (quel avantage immense !)
Des quatre âges humains, la jeunesse et l’enfance.
Il fallait qu’il fût sot, du moins bien impudent,
Le sage qui nous dit : ” Chaque jour on apprend.”—
Du jeune homme du jour, lecteur, voici l’image :
Chez lui nous rencontrons un bizarre assemblage,
Qu’on ne peut définir et qui n’a pas de nom.
On y voit de l’esprit, mais du jugement : non.
Les plaisirs dont toujours raffole la jeunesse,
Il les fuit ; n’a-t-il pas à réfléchir sans cesse ?
A quel prix que ce soit, il lui faut du nouveau,
Pour cela nuit et jour travaille son cerveau.
Et l’avenir, dit-il, de lui tout seul dépend.
Chez lui tout est parfait, rien n’est bon chez un autre,
De mille absurdités il est l’absurde apôtre.
Il a dans les débats toujours le dernier mot,
Quiconque lui résiste, à ses yeux, n’est qu’un sot
A le voir si pensif se traîner dans la rue,
Les yeux fixés en terre, ou levés vers la nue,
On le prendrait vraiment pour un penseur profond
-Mais, hélas ! vu de près, c’est un tonneau sans fond.
De ses productions sans cesse il vous accable,
Est aussi fatigant, qu’il est infatigable.
C’est un être inquiet, tourmenté, malheureux ;
Ce serait demi mal, s’il n’était qu’ennuyeux.
Mais, comme il se croit seul avoir droit au génie,
Il n’est, pour réussir, rien qu’il ne sacrifie.
Aussi l’entendez-vous, constamment s’écrier?
” Plutôt que ma doctrine, à bas le monde entier.”
“Le Vieillard et le Jeune Homme”