Un vieillard se plaignait aux dieux,
Et disait : « La Parque ennemie
» Se prépare à briser la trame de ma vie,
» Quand je pourrais tirer un fruit si précieux
» De cette importante science,
» Fille du temps et de l’adversité,
» Qu’on appelle l’expérience !
» Ah ! si, par un effet de sa toute bonté,
» La Providence
» Me laissait de mes jours
» Recommencer le cours,
» O Jupiter, tu peux en croire ma promesse,
» Raison, vertu, sagesse,
» Seraient ma règle à l’avenir :
» Plus de ces passions dont le seul souvenir
» Fait honte à ma vieillesse ! »
Jupiter se montra touché de ce désir :
Il lui plut de tenter l’épreuve.
Notre homme aussitôt fait peau neuve :
Plus de rides , de cheveux blancs !
Les roses du printemps
Brillent sur son visage et son corps se redresse ;
C’est la santé, la vie et son ardente ivresse !
On eut dit qu’à longs traits.
De la fontaine de Jouvence
Il avait épuisé jusqu’aux derniers filets !
Le cœur est plein d’effervescence ;
Son sang impétueux coule à flots abondants,
Et bouillonne comme à vingt ans !
Mais, hélas ! la jeunesse
Fait avec la raison.
Dit-on,
Mauvais ménage, et, lorsqu’elle est maîtresse
Au logis,
Prudemment la raison s’empresse.
Afin d’éviter les conflits,
De partir au plus vite,
Et de chercher un gîte
Dans quelque autre maison.
Ainsi fut-il pour ce nouvel Éson !
Plaisirs et voluptés, sur son âme en délire,
Exercent de nouveau leur dangereux empire ;
Il cède à leurs attraits,
Et ne tarde pas à commettre,
Oubliant ses serments et tous ses beaux projets,
Mêmes fautes, mêmes excès
Que par le temps passé ! Le voyant apparaître
Devant son tribunal, confus et repentant,
Le maître du tonnerre
Avait le droit d’être sévère ;
Mais, comme il est le tout-puissant.
Il aima mieux être indulgent,
Et, pour tout châtiment,
Il lui fit cette remontrance :
» Souviens-toi désormais
» Que, pour dompter la violence
» Des passions et des penchants mauvais,
» La seule expérience
» Sera toujours pour l’homme un frein insuffisant,
» Si sa raison n’oppose à leur débordement
» Une infranchissable barrière !
» Que ton exemple serve aux mortels de leçon !
» Saura-t-on
» Profiter, sur la terre,
» De cet enseignement ?
» Je le désire ; mais, à parler franchement,
» Je ne l’espère guère ! »
Le bon Jupin,
En s’exprimant ainsi, n’était pas, ce me semble
Très-juste envers le genre humain ;
Et si parfois, du haut de l’Olympe, il contemple
Tant de rares vertus qui, dans ces heureux jours
Foisonnent sur notre planète.
Délicatesse, honneur, moralité parfaite,
A coup sûr il regrette
Les derniers mots de son discours !
Adrien-Théodore Benoît-Champy