Fables et poésies de Jean de La Fontaine
Un vieillard, languissant sous le faix des années,
Ressentoit tous les jours quelques nouveaux tourments;
Il les attribuoit au temps,
Sans avoir nul égard au cours des destinées :
Dans l’été, le grand chaud, le tonnerre et l’orage
Étoient la cause de ses maux :
L’automne, les fraîcheurs et les fréquentes eaux
Ne lui plaisoient pas davantage ;
Dans l’hiver, les glaçons, les brouillards et la neige
Réveilloient toutes ses douleurs;
Le printemps, de retour avec les belles fleurs,
N’apportoit point le privilège
De donner trêve à ses langueurs.
« 0 Ciel! s’écrioit-il, que je suis misérable!
Ah! veuille m’être favorable
Et m’accorde un peu de repos! »
Le Ciel, attendri par ses maux,
Consulta ce qu’il falloit faire,
Afin d’exaucer sa prière.
Il s’adresse au soleil, il appelle les vents,
Leur dit de composer un temps
Assez beau pour le satisfaire.
On le remet au lendemain.
Les vents et le soleil travaillent, mais en vain!
Le malade toujours sent des douleurs extrêmes :
Il ne s’en prend qu’au temps et non pas à lui-même.
Le Ciel reconnoît qu’il a tort,
Et qu’il faut travailler pour lui d’autre manière :
Pour le mettre à son aise, il le met dans la bière,
Et son jour de repos est le jour de sa mort.
1. Cette fable et les trois suivantes, écrites de la main d’un copiste inexpérimenté avec un certain nombre de vers faux, que nous avons dû corriger, se trouvent mêlées à quelques-unes des fables précédentes, toutes sans titres et se suivant Tune l’autre, dans un manuscrit de Conrart (n° 151. B. L. F., Bibliothèque de l’Arsenal, 2 vol. in-4, tome I, p. 175 et suiv.), qui renferme plusieurs pièces autographes de La Fontaine. Les quatre fables, l’Abeille et la Rose, l’Horloge, le Luth et la Musette et les Vers à soie et le Moucheron, que Conrart avait pris la peine de transcrire lui-même dans son grand recueil in-folio, d’après une copie différente, présentent de nombreuses variantes et constatent ainsi les améliorations que fauteur cherchait à introduire dans sou premier travail. Quant aux quatre autres fables, provenant de la même source et pourtant omises dans la copie de Conrart, qui en jugeait peut-être le texte trop altéré, nous supposons que La Fontaine en était mécontent et qu’il n’avait pas cru devoir les conserver. Au reste, elles appartiennent évidemment à ses premiers essais comme fabuliste, car elles figurent, dans ce recueil, à côté de sa correspondance autographe avec sa femme, laquelle est de l’année 1663. (Le Vieillard malade)