Dans une cuisine bien fournie de volaille et de gibier, un vieux chat fort adroit, et voleur comme une harpie, jouait, depuis long-temps, des griffes et des dents. Rien ne pouvait échanger à sa méchante adresse. Si le cuisinier détournait un instant les yeux de sa volaille, notre chat l’enlevait, et allait ensuite sur le toit voisin jouir de son larcin et dévorer sa proie. On ne pouvait l’y atteindre ; et l’impunité l’encourageant à mal faire, chaque jour voyait quelque nouveau tour de lui. A la fin, las de ses rapines, tous les gens de la maison le poursuivirent à la fois. Il fut pris, et le maître, lui conservant la vie par générosité, ordonna qu’il fût enfermé dans une bonne cage. On exécuta ses ordres ; et la paix régnait à la dépense. Un jour pourtant, je ne pas sais comment, il trouva le moyen de s’échapper de sa cage, et vint à la cuisine avec un air si doux, si humble, si tranquille, qu’on aurait dit : Voilà le chat le plus sage du monde. Il n’osait pas même porter les yeux sur le gibier, et se contentait modestement des morceaux qu’on voulait bien lui jeter. Le cuisinier, le voyant dans cette contenance, le crut changé, se réconcilia avec lui, et disait à tout le monde : « Voyez comme le mal-heur est une bonne école ; comme elle corrige les gens ! Combien ce chat est différent de ce qu’il était jadis ! Qu’il est maintenant doux et sage ! On dirait que c’est un autre chat. »
— « Méfiez-vous pourtant du drôle, lui dît un maître d’hôtel prudent, ne lui confiez pas pour cela vos chapons : je crois difficilement à la conversion d’un vieux pécheur. »
Le cuisinier, aidé des autres-domestiques, s’échauffait à défendre le chat, assurant qu’ils n’en avaient plus rien à craindre désormais, quand, trouvant l’occasion d’enlever une perdrix bien piquée, le chat fondit sur elle, l’emporta, et alla terminer la discussion sur la gouttière de la maison voisine.
“Le Vieux Chat”