Un Chat sur le retour, paralytique, étique,
Asthmatique (vieillesse est un âge critique),
Résolut de se convertir.
Quand on n’a rien de mieux à faire dans la vie,
On peut songer au repentir.
Je connais maints barbons à qui prend cette envie
Fort à propos. Notre vieux papelard,
(Mitis était son nom, si j’en ai souvenance,)
Pour tracer à loisir son plan de pénitence,
Seul, dans un coin s’installe, et là, d’un air cafard,
La pâte sur la conscience :
« Ah ! comme j’ai vécu dans mon adolescence !
« Franc larron que j’étais, sur la table d’autrui
« Je fondais chaque jour l’espoir de ma cuisine.
« Malheur au rôt que Jaqueline
« Par mégarde, en rôdant, laissait à ma merci !
« Fins pigeons, chapons gras, poularde bien dodue :
« Pour ma panse nul mets n’était trop délicat.
« Tout y passait, Dieu sait ! Cependant, bien battue,
« La servante payait pour les méfaits du chat.
« Maintes fois j’y fus pris ; et, parmi mes confrères,
« S’il se donnait par jour deux cents coups d’étrivières,
« Tout bien compté, Mitis en avait pour sa part
« Un bon quart.
« Et franchement je ne pouvais m’en plaindre :
« Car de quel droit ravir ce qui n’est point à nous ?
« Et pourtant c’était là les moindres de mes coups.
« Si mon Humeur rapace eût été seule à craindre,
« Passe encor ! mais, hélas !.. ici mon cœur se fend.
« Monstre affamé de rapines, de sang !
« Fléau d’un peuple et pacifique et sage !
« Féroce Attila des souris !
« Que t’avait fait Ratopolis,
« Pour y porter le deuil, la terreur, le carnage,
« La mort ! n’entends-tu pas la veuve, l’orphelin,
« Te reprocher en chœur leur commune misère ?…
« Ma fille ! mon époux ! mon père !
« Ma sœur ! mon frère ! mon cousin !…
« Et tu vois encor la lumière !
« Voler les gens, c’est mal : mais les manger ! ô Ciel,
« Pour fléchir ton courroux je suis trop criminel !
« Tonne, frappe ! il est temps que ta justice éclate :
« Voici ma tête scélérate ! »
Le benoît animal se confessait ainsi,
Quand un rat, de son trou sortant en étourdi,
S’en vint se fourrer sous sa pâte.
Tel asyle vraiment n’est pas sûr pour un rat.
Le nôtre de bon cœur s’en fut passé, je pense.
« Quoi ? tu viens me troubler, dit Mitis, quand, moi chat,
« Avec les tiens et toi j’allais faire alliance !
« Misérable ! est-ce là le prix de ma clémence?
« Ménagez donc un peuple impertinent, ingrat !
« Soyez humain ; voilà la récompense !
« Oser troubler un si bon chat !
« C’est aussi trop d’insolence :
” Meurs ! ” — Le pauvret tout tremblant
Implore quelqu’indulgence,
Allègue son jeune âge et son peu de prudence ;
N’étant encor qu’un rat enfant,
Il n’avait pas assurément
Le dessein d’offenser son auguste personne :
Il est si beau qu’un roi pardonne !
Ajoutait-il ; aux yeux d’un prince vraiment grand,
Dès qu’on est malheureux on devient innocent.
Puis ceci, puis cela, puis cent choses pareilles ;
Il pérorait, c’était merveilles !
Ce Rat était un Cicéron :
Il eût touché les murs, dît-on,
Si les murs avaient des oreilles.
Tout chat n’est pas César : Mitis le fit bien voir.
D’un coup de dent, le bon apôtre
Envoya l’orateur au ténébreux manoir
Gagner son procès près d’un autre.
Un méchant muselé fait pâte de velours ;
Il parle humanité, Justice : l’hypocrite !
Bonne gens, prenez garde à la griffe maudite !
Qui fut chat le sera toujours.
“Le vieux Chat”
- Jean-Nicolas-Marie Deguerle – 1766 – 1824