Depuis que la Muse naïve
Qui remit sous mes doigts ma lyre fugitive,
De moi, tant bien que mal, a fait un Fablier,
Je suis plus que jamais, en ma saison tardive,
Amateur des jardins, si ce n’est jardinier.
Souvent j’y passe un jour entier;
A quoi ? je ne sais trop ; mais heureux de n’entendre
De bruits ni vrais ni faux : point de devoirs à rendre,
Point de bavards pour m’ennuyer,
Point d’œil malin pour m’épier,
Et toujours des leçons à prendre ;
Leçons de langue des Oiseaux,
Et des Fleurs, et même des Arbres.
Je les entends ; j’entends les moindres arbrisseaux :
J’entendrais, je crois, jusqu’aux marbres,
Si marbres habitaient sous mes humbles berceaux.
Dans ce jardin, chéri de Paies et de Flore,
Est un antique et beau Pêcher Dont les fruits,
qu’en naissant le Dieu du jour colore,
Flattent l’œil, l’odorat, le goût et le toucher.
Mais ce favori de Pomone
Vieillit : déjà son front porte cette couronne
Qui marque à ses pareils l’instant du noir Nocher.
Sa feuille tombe avant l’automne ;
On voit son tronc se dessécher;
Et bientôt la Nature, et si dure et si bonne,
Qui des arbres, de nous également ordonne,
Lui trace le chemin du jardin au bûcher.
Près de lui, d’une main prudente,
Charles, mon jardinier, mit par précaution
Un Pêcher jeune encor , mais d’une belle attente,
Et dont une greffe savante
A fini l’éducation.
De ce nouveau venu le vieux Pêcher se fâche,
Pourquoi, dit-il, m’associer
Un blanc-bec, un mince écolier ?
Je ne le puis souffrir : je prétends qu’on l’arrache,
Ou je fais l’an prochain banqueroute au fruitier.
A ce dur propos, mon bon Charles,
Qui plus et mieux qu’un oiseau parle,
Et souvent adoucit l’ennui de travailler
Par le plaisir de babiller ,
Concis pour cette fois autant qu’un Spartiate,
Répond : s’il faut choisir, crains que je ne t’abatte :
J’aurai de lui les biens qu’avec toi j’ai perdus :
Il ploîra sous les fruits quand tu n’en auras plus.
Mes chers amis, moi qui vous fais ce conte ,
Je prétends pour mon propre compte
En profiter. Toujours j’aimai les jeunes gens :
Je veux de plus en plus , en faveur de leur âge,
Excuser leurs défauts, accueillir leurs talents,
Et brisé des écueils, mais bientôt au rivage
De l’orageux Neptune où je les vois flottants,
Des mains et de la voix animer leur courage.
Aidons nos successeurs ; c’est le conseil du Sage.
Ainsi de mon Pêcher quinteux
Je sais mettre à profit La leçon pour moi-même.
Tel vieillard savant et hargneux,
Qui me traite en jeune homme et fait le dédaigneux
En profitera-t-il de même?
“Le Vieux pêcher”