Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – L’Éducation
Laridon et César, frères dont l’origine
Venait de chiens fameux, beaux, bien faits et hardis,
A deux maîtres divers échus au temps jadis,
Hantaient, l’un les forêts, et l’autre la cuisine.
Ils avaient eu d’abord chacun un autre nom ;
Mais la diverse nourriture
Fortifiant en l’un cette heureuse nature,
En l’autre l’altérant, un certain marmiton
Nomma celui-ci Laridon :
Son frère, ayant couru mainte haute aventure,
Mis maint Cerf aux abois, maint Sanglier abattu,
Fut le premier César que la gent chienne ait eu.
On eut soin d’empêcher qu’une indigne maîtresse
Ne fit en ses enfants dégénérer son sang :
Laridon négligé témoignait sa tendresse
A l’objet le premier passant.
Il peupla tout de son engeance :
Tournebroches par lui rendus communs en France
Y font un corps à part, gens fuyants les hasards,
Peuple antipode des Césars.
On ne suit pas toujours ses aïeux ni son père :
Le peu de soin, le temps, tout fait qu’on dégénère :
Faute de cultiver la nature et ses dons,
O combien de Césars deviendront Laridons !
Analyses de Chamfort
V. 1. Avec grand bruit et grand fracas..
Voyez comme La Fontaine varie ses tons ; voyez comme il monte , comme il descend avec son sujet. Opposez à cette peinture du torrent, celle de la rivière , huit ou dix vers plus bas. Remarquons aussi ce trait de poésie du voyageur qui va traverser
V. 23. Bien d’autres fleuves que les nôtres.
On peut objecter que, dans cette fable , le marchand est forcé de passer la rivière , comme il a été forcé de passer le torrent, et que la fable serait meilleure , c’est-à-dire, la vérité que l’auteur veut établir mieux démontrée , si le marchand , ayant le choix de passer par la rivière , ou par le torrent, eût préféré la rivière. Cela peut être, mais il en résulterait que la fable est bonne et pourrait être meilleure. (L’Education)
Plutarque, Traité comme il faut nourrir les enfants.
L’Education. Lycurgus prit un jour deux jeunes chiens nez de mesme père et de mesme mère et les nourrit si diversement qu’il en rendit un gourmand et goulu, ne sçachant faire autre chose que le mal, et l’autre bon à la chasse et à la queste; puis un jour que les Lacedemoniens estoient tous assemblés sur la place en conseil de ville, il leur parla en cette manière : « C’est chose de très-grand importance, seigneurs Lacedemoniens. pour engendrer la vertu au cœur des hommes que la nourriture, l’accoutumance et la discipline, comme je vous ferai voir tout à cette heure. » En disant cela, il amena devant toute l’assemblée les deux chiens, leur mettant au devant un plat de souppe et un lièvre vif. L’un des chiens s’en courut incontinent après le lièvre, et l’autre se jeta aussitôt sur le plat de souppe. Les Lacedemoniens n’enten-doient point encore où il en vouloit venir, jusqu’à ce qu’il leur dit : « Ces deux chiens sont nez de mesme père et de mesme mère ; mais ayant été nourris diversement, l’un est devenu gourmand et l’autre chasseur. »