Fleury Flouch
L’enclume, un jour, se plaignait du marteau :
Aussitôt que mugit le volcan du fourneau,
» Disait-elle, ta haine, en jurant ma ruine,
» La nuit comme le jour m’assiège et m’assassine ».
— « Hélas! ma pauvre sœur,
Répliqua tristement l’esclave marteleur,
» Sache mieux me connaître.
» Ton reproche ne doit s’adresser qu’à mon maître.
» Ce n’est pas moi qui veux te tourmenter;
» C’est lui qui, sans me consulter,
» D’un bras nerveux m’enlève et me dirige.
» A te frapper sa volonté m’oblige,
» Pour assouplir le fer dont les ressentiments
» Font jaillir du courroux l’orgueilleuse étincelle;
» L’artiste ainsi nourrit sa femme et ses enfants ».
Voilà du monde une image fidèle :
L’un pousse l’autre, et dans ce grand conflit
Chacun sauve sa barque en faisant son profit.
Les deux Uniformes.
Dans une alcôve, à côté d’un grabat,
Où d’un profond sommeil dormait un vieux soldat
Qui, jadis, de la gloire avait chanté l’antienne
Sous l’aigle napoléonnienne,
Un uniforme neuf se vantait de l’éclat
Qu’il répandait sur ce maître héroïque,
Alors incorporé dans la garde civique :
« Tais-loi, lui dit avec humeur,
Et d’une voix sarcasmatique,
Un vieil habit dont la couleur
Etait presque problématique,
Et qui portait l’emblème d’un sapeur ;
» La dignité dont ton orgueil se pique,
» Appartient tout entière aux ciseaux d’un tailleur;
» Moi j’ai conquis la mienne au champ d’honneur.
» Tu n’as point fait de sacrifices
» Pour illustrer mon possesseur;
» Ma vétusté, mes cicatrices,
» A tous les yeux racontant mes services,
» Mieux que toi de ce brave honorent la valeur ».
Le monde, trop souvent, réalise ma fable;
On y voit plus d’un sot avec le faux honneur
Confondre l’honneur véritable.
Fleury Flouch