Fables de l’Académie des jeux floraux
“Cet âge sans pitié” La Fontaine
C’était on beau joujou vraiment! un grand cheval
Marchant à la mécanique;
Charles, un jour, l’aperçut au seuil d’une boutique ,
Et, depuis cet instant fatal,
Chaque fois qu’il passait devant cet animal,
Parodiant le mot d’un héros britannique,
Il criait d’un ton dramatique :
« Le cheval ! le cheval !
« Tous mes joujoux pour le cheval ! »
Comme il était gâté pas mal,
On fit accueil à sa supplique.
Voilà noire marmot aux anges, vous pensez !…
Tous ses autres jouets aussitôt délaissés
S’en allèrent moisir au fond de quelque armoire ,
Plus n’en fut question , pas même pour mémoire.
Mais le nouveau venu ! quel accueil gracieux !
Quels sourires ! quelles caresses !
Que de baisers! que de tendresses!…
Ou ne pouvait en détacher les yeux;
On admirait ses pieds, on embrassait sa tête ;
On roulait qu’il mangeai du sucre et du biscuit,
On le choyait le jour, on en rêvait la nuit ;
Jamais cheval vivant ne fut à telle fête !
« Voyez donc comme il marche et quelle mine il a ! »
Mon cher amour par-ci, mon doux mignon par-là!
Bref, c’était, pour tout dire ,
Non du bonheur, mais du délire.
Ce manège dura huit jours, en vérité.
Le neuvième, il advint que notre enfant gâté,
Qui s’était réveillé d’humeur assez maussade ,
Fît à son très-cher camarade
Peu d’accueil; il le prît, le laissa, le reprit.
Lui dit qu’il était laid, qu’il n’avait pas d’esprit ;
Et comme à tout cela l’on ne répondait guère.
Dans un mouvement de colère ,
D’un coup de pied brutal
Il envoya par terre
Rouler en dix morceaux le placide animal.
La maman accourut à tout ce beau tapage ;
Quand elle vit l’affreux carnage ,
Elle chercha des yeux son enfant…Il riait
Tout d’abord elle crut qu’il était en démence ;
Mais lui, d’un ton d’entière indifférence :
« Ah bien ! dit-il, tant pis ! il m’ennuyait. »
Du pauvre cheval mécanique Ce fut tout le panégyrique.
Coquettes , qui brisez notre cœur en jouant,
Quel est le plus cruel, de vous ou de l’enfant?
“L’Enfant et le Joujou”
Recueil de l’Académie des jeux floraux. 1807.