Madame Adèle Caldelar
Poétesse et fabuliste XIXº – L’Enfant et le Papillon
Petit Papillon bleu,
Qui voles en tout lieu,
Je voudrais être toi, disait le petit George,
À travers les épis courant dans un champ d’orge. »
Le joli petit Papillon
Dit au joli petit garçon :
— « D’où vient que mon destin te paraît préférable ?
Le tien pourtant me semble, à moi, fort agréable. »
— « Oh ! dit l’enfant, j’aurais de bien plus beaux habits !
Les miens sont toujours noirs ou gris :
Le plus souvent d’étoffes tout unies ;
Je n’aime point du tout ces couleurs rembrunies ;
Les tiens, beau Papillon, sont de celles des cieux,
Et d’argent tout brodés ; cela me plaît bien mieux. »
— « Oui, dit le Papillon, mais ces couleurs si belles
Font qu’un vaurien d’enfant (pardonne-moi ce mot),
S’il peut nous attraper nous arrache les ailes,
Ou bien d’un fer aigu nous transperce aussitôt. »
— « N’importe, dit l’enfant, au péril de ma vie,
Je voudrais être toi, ton sort me fait envie.
Tout pour toi n’est-il pas agrément et plaisir ?
Moi, dans un lit de fer tandis que je repose,
Toi, tu t’endors dans une rose,
Petit lit parfumé que berce le zéphyr. »
— « Oui, dit le Papillon, mais lorsque j’y sommeille,
Souvent un traître insecte y pénètre sans bruit.
Et d’un coup de poignard en sursaut m’y réveille ;
Toi, dans le tien, en paix tu dors toute la nuit. »
— « N’importe, dit l’enfant, au péril de ma vie,
Je voudrais être toi, ton sort me fait envie.
Que peut-on comparer au bonheur sans pareil
De voguer dans les airs au gré de ses caprices ?
Est-il rien de semblable à de telles délices ?
Oh ! que vite j’irais dans son palais vermeil
Visiter monsieur le soleil. »
— « Oui, dit le Papillon, mais gare à la Mésange,
Dont le bec en passant pourrait bien te happer,
Et de toi, mon bel ange,
Faire un fort bon souper. »
— « N’importe, dit l’enfant, au péril de ma vie,
Je voudrais être toi, ton sort me fait envie.
Puis, contre tout danger,
Maman, prudente et bonne,
Qui serait Papillonne,
Saurait me protéger. »
— « Ta mère ! y songes-tu ? dit, le lépidoptère ;
Notre espèce est toujours orpheline ici-bas :
Le pauvre Papillon, lui seul n’a point de mère,
Ou du moins, sur la terre,
Il ne la connaît pas. »
— « Quoi ! dit soudain l’enfant, tout saisi de tristesse,
Tu n’as point de maman qui t’aime et te caresse ?
S’il est ainsi, beau Papillon,
Nul péril ne dût-il environner ma vie,
Ton sort brillant ne me fait plus d’envie,
Et j’aime mieux cent fois rester petit garçon.
Madame Adèle Caldelar, L’Enfant et le Papillon