Pierre – Joseph Charrin
Chansonnier et fabuliste XVIIIº – L’enfant, le cheval et le taureau
Un Enfant plein de bardasse,
Fier de monter un cheval vigoureux,
Le dirigeait avec adresse,
Ralentissait son pas, en doublait la vitesse.
A ses vouloirs capricieux
Le coursier se pliait sans cesse ;
A le voir piaffer, à l’entendre hennir,
On devinait qu’il aimait obéir
A son guide, dont la jeunesse,
Les membres délicats eussent dit la faiblesse ;
Si, n’étant pas d’humeur à se laisser dompter,
Par une main qu’il sait être débile,
Le cheval eût voulu contre l’enfant lutter.
Étonné qu’à ce point, on pût être docile
Et d’un petit garçon subir la volonté,
Un Taureau s’écria : » Connais ta dignité,
» 0, toi ! noble animal ! toi, qui de la mitraille
» Redoutes peu l’atteinte au fort d’une bataille :
» Fidèle et courageux compagnon des guerriers,
» Toi qui devrais avoir ta part de leurs lauriers !
» En m’écoulant, tu sentiras peut-être
» L’odieux de subir le frêle joug du maître,
» Qu’aujourd’hui le Destin se plaît à te donner.
» Je n’affronterais pas, moi, cet excès de honte.
» Pour te le faire pardonner :
» Foule à les pieds l’Embryon qui te monte. »
» — Tout doux ! maître Taureau ; trêve de tes conseils,
» Réserve-les à tes pareils.
» A quoi bon tant de fiel, de superbe colère ?
» Jamais je ne ferai ce qu’on te verrait faire
» Si quiconque tentait de t’imposer sa loi.
» Je sens ma dignité plus dignement que toi,
» Tout cœur bien né m’en loura, je l’espère ;
Réplique le cheval. » Le grand honneur pour moi
» De jeter un enfant par terre ! »
Maître ou subordonné, Duc et Pair, pauvre hère,
On doit protection à plus faible que soi.
Pierre-Joseph Charrin