Un petit épagneul , de sa vieille maîtresse
Depuis longtemps idolâtré.
Bourré de biscotins ou de gâteau sucré,
Goinfre, hargneux, courait, jappait, jappait sans cesse
Dès que quelqu’un était entré ;
D’un coup de dent payait une caresse,
Quand tout dans la maison n’allait pas à son gré.
La dame, un certain soir, partit pour l’autre monde ;
Et dès le lendemain, l’épagneul étonné,
Repoussé partout à la ronde,
Eut du pain bis tout sec après qu’on eut dîné.
Réduit à ce mince ordinaire,
A quelques coups par-ci, par-là;
Bon dieu ! dit le pauvret, qu’est-ce donc que cela?
Ces gens y pensent-ils? Une aussi maigre chère !..
On me connaît, et Ton veut me traiter
Sans nul égard, comme un roquet vulgaire!… «
La larme à l’œil, il alla consulter
Le vieux Moufflard, sur ce qu’il fallait faire.
Moufflard était un chien de basse-cour,
Doux, serviable, ami sincère,
Qui se faisait aimer par son bon caractère.
Il l’écouta longtemps, et lui dit à son tour : »
Mon enfant, te voilà tombé dans la misère.
La patience est ta première loi.
Quand ta fortune était prospère,
Si tu fusses venu vers moi,
J’aurais pu te donner un conseil salutaire,
Te répéter vingt fois la leçon de mon père,
Et de ton sort peut-être adoucir la rigueur…
Je crois l’entendre encore, accablé de douleur,
Médire en expirant: » Mon fils, que l’abondance, »
Que des biens passagers ne changent point ton cœur ; »
Qu’il soit toujours ouvert à la reconnaissance. »
Pour les défauts d’autrui montre de l’indulgence ;
» Mets à profit tes instants de bonheur, »
Et surtout, du destin redoutant l’inconstance, »
Fais-toi quelques amis pour les jours du malheur. »
Explication morale :
Heureux jours de la jeunesse, pourquoi fuyez-vous avec tant de rapidité ? si vous pouviez revenir, que de choses les indolents et les paresseux voudraient apprendre ! Que de vertus ils voudraient acquérir, au lieu des défauts et des vices qui ont souillé leur vie et en ont fait le malheur! Jeunes élèves, ne ressemblez jamais à l’épagneul de la fable ; combien seriez-vous à plaindre, si, délaissés comme lui par la mort de vos parents, vous n’aviez aucun droite l’estime et à l’affection de vos semblables , pour n’avoir pas acquis dans l’âge heureux où vous êtes encore, les talents et les vertus qui trouvent partout des protecteurs et des amis ? (L’Épagneul et le Chien de garde )
“L’Épagneul et le Chien de garde”