Au beau milieu d’un champ fertile,
Où les ions de Cérès mûrissaient à l’envi ,
Fier de ses groins dores, un orgueilleux Epi
Querella un Pavot à peu près dans ce style :
— Que viens-lu faire auprès de moi,
Vil symbole de la paresse ?
En Orient l’on dit que la mollesse
De les sucs enivrants fait le plus sot emploi ;
Mais en ces lieux jamais as-tu servi personne ?
Sans odeur et sans goût, jamais utile à rien,
Ta léthargique fleur n’est bonne
Qu’à ceindre un jour d’une couronne
Un front académicien.
Que mon sort en ce monde est différent du tien!
A la table des Rois tous les jours je figure,
Peut-être même à la table des Dieux;
Et l’homme, des présents que lui lit la nature
Trouve en moi le plus précieux ;
Cesse inutilement de fatiguer la terre.
— Tout doux, mon orgueilleux voisin !
Fier de ton superbe destin,
Tu viens à tort me déclarer la guerre :
Chacun a son rôle ici-bas ,
Suivant qu’en ses secrets le veut la providence,
Et du mien je ne me plains pas :
Dans les greniers de l’opulence
Cours entasser tes grains , le doux suc des pavots,
Charge de l’humble soin d’endormir la souffrance.
Au malheureux qui n’a plus d’espérance
Ira verser l’oubli des maux.
“L’Epi et le Pavot”