Dans une boutique, en plein vent,
Deux vieillards, ou plutôt deux défunts se trouvèrent,
Utiles autrefois, méprisés maintenant.
Du regard aussitôt tous les deux se toisèrent.
Le moins jeune cachait sous son habit de peau,
Jauni par de longues années,
L’ennui de cent histoires surannées ;
Le second, mieux paré d’un habit plus nouveau,
Étoffe toutefois bien mince,
Disait l’âge et l’hymen du prince
Dont l’an dernier tint le flambeau ;
Puis des contes bien noirs, récits d’horribles crimes,
Le pronostic des mois, horoscopes sublimes,
Inaccomplis toujours, et toujours attendus
Par les imbéciles, victimes
Des almanachs à leurs dépens vendus.
Or, de nos deux amis telle fut l’existence :
Du premier jour de leur naissance,
Un an… puis rien; et cependant,
Almanach imposteur, chacun se croit encore
Fait pour régler le monde et s’étale en savant.
Un troisième est là, riant
Du sot orgueil qui les dévore :
De son cours, tout au plus, voyant lever l’aurore,
Hélas ! l’an qui suivra le trouvera mourant.
Le présent qui s’écoule a marqué son passage.
Mais, plus sensé : — Vieillards, en ma dernière page.
Il est, dit-il, écrit une maxime sage,
Voyez : « Le temps qui fuit n’aura point de retour. »
Où sont tombés César, sa fortune et sa cour ?
Les somptueux palais de Ninive et Carthage ?
Oui, chacun de nous, à son tour,
Doit subir un oubli qu’ici-bas tout partage,
Vieillis d’un siècle, ou périmés d’un jour,
Nous n’en valons pas davantage.
“Les Almanachs”