Fables et poésies de Jean de La Fontaine
Les Animaux, en république,
Convinrent unanimement,
Que chacun, à son tour, eût le gouvernement
De la chose publique.
Messire Renard eut l’honneur
D’être le premier gouverneur.
Il s’alla mettre en son lit de justice,
Jurant de faire droit à tous.
« Ah! dirent les Agneaux, cela va bien pour nous.
Le Loup, avec son artifice,
Ne sera plus notre tuteur. »
L’aîné de tous lui dit : « Mon bon seigneur,
Depuis la mort de notre pauvre mère,
Nous sommes sous l’oppression
Du Loup, notre ennemi glouton,
Oui veut avoir notre tutelle.
— Il est vrai, dit le Loup, c’est ma prétention
Et la volonté maternelle,
Car la pauvre défunte, avant que de mourir,
Me fit votre tuteur pour finir la querelle.
— Vous, tuteur ! répondit l’Agneau ;
Vous qui la privâtes de vie,
Elle vous eût commis la garde du troupeau !
— Messieurs, répond le Loup, je le prends à partie :
Il dit que je suis meurtrier ?
Il faut qu’on le punisse, ou qu’il prouve son dire.
— J’ai témoin, dit l’Agneau, pour le justifier. »
Le Loup voit bien qu’il a du pire.
S’approchant du Renard, il lui dit doucement :
« Je suis juge après vous ; monsieur, sans compliment,
Pourrois-je vous rendre service?
Si vous aviez procès contre quelque poulet,
Je vous donnerais gain de cause. »
Le Renard, convaincu par cette forte clause,
En faveur de ce Loup prononça son arrêt.
“Les Animaux”