À Monsieur Gillot.
Gillot, mon frere en Apollon,
Car ce n’est pas par fantaisie
Que la peinture avec la poësie
Fraternise au sacré vallon ;
Leur origine en effet est pareille ;
L’une et l’autre est un don des cieux :
Ce que par les discours l’une peint à l’oreille,
L’autre par les couleurs sçait le conter aux yeux.
Les animaux qui parlent dans mes fables,
Doivent agir dans tes tableaux.
Montre-les sous des traits naïfs et véritables ;
Que sous ta main, quadrupèdes, oiseaux,
Insectes, que tout prenne une ame.
Vole plutôt au ciel y dérober la flâme
Dont Prométhée autrefois anima
Le corps humain que lui-même il forma.
Argumente par ton génie
Contre l’orgueil cartésien
Dont la logique aux animaux dénie
Crainte, désir et tout : je n’y souscris en rien.
Je les fais raisonner ; et ton art, je m’en flate,
M’empêchera de paroître menteur :
Tout animal par toi va dire au spectateur :
Qu’en pensez-vous ? Suis-je automate ?
Les animaux, un jour joüoient la comédie.
Théâtre artistement formé de rameaux verds ;
Dans les entr’actes simphonie
D’oiseaux, de rossignols experts.
Le plus beau cependant n’étoit pas l’harmonie.
Ce qui se faisoit plus loüer,
C’étoit l’assortiment des rôles au génie
Des acteurs qui devoient joüer.
Le lion fait le roi ; roi qu’il étoit lui-même,
Doute-t-on que sa majesté
Ne soûtint bien l’honneur du diadême ?
Qu’il ne prît, comme il faut, le ton d’autorité ?
Le taureau fait l’amant ; air noble, mine haute,
Et vive flâme dans les yeux ;
Passion ne lui faisoit faute ;
Sentant ce qu’il disoit, sentant même encor mieux.
Le chien prudent et plein de zèle,
Étoit de l’amoureux le confident fidéle.
La génisse à la blanche peau,
Parée encor de sa jeunesse,
Faisoit le rôle de princesse,
Recevant fierement les soupirs du taureau.
Le tigre pour régner ménageoit une ligue ;
D’un vrai conspirateur il avoit le maintien :
Bref, afin qu’il n’y manquât rien,
Le renard conduisoit l’intrigue.
Le beau spectacle que c’étoit
Qu’un choix de tels acteurs, tous dans leur caractère !
Étoit-ce une action que l’on représentoit ?
Non, c’étoit le vrai même ; on ne pouvoit mieux faire ;
C’étoit la bonne troupe : aussi l’on s’y portoit.
Mais, un singe un beau jour en levant les épaules,
Ô, dit-il, les pauvres acteurs !
Il gagea que lui seul joueroit tous les rôles,
Et raviroit les spectateurs.
On vous le prend au mot ; il joue,
Contrefait tout en moins de rien ;
Mais que servent ses sauts, sa grimace et sa moue ?
En faisant tout, il ne fait rien de bien.
Pour imiter le roi, sur ses pieds il se hausse,
Il fronce le sourcil, crie haut, fait l’emporté ;
Et ne met qu’une grandeur fausse
En place de la majesté.
Il fait l’amant sans grace et sans délicatesse ;
Le confident sans zéle et sans discrétion ;
Met dans le rôle de princesse
Force mines, faux airs, mainte affectation ;
Dans le séditieux ne fait voir que bassesse,
Ne mêle aucun courage avec l’ambition.
Enfin au lieu d’un intriguant habile,
Il ne montra qu’un étourdi.
De siflets redoublés l’acteur est assourdi.
Que ne se donnoit-il pour bouffon, pour agile ?
Dans la farce on l’eût applaudi.
La vie humaine est une pièce,
Où nous avons notre rôle à jouer.
Chacun a le sien propre où nature le dresse.
En veut-on prendre un autre ? On se fait bafouer.
- Antoine Houdar (ou Houdart) de la Motte- 1672 – 1731, Les Animaux comédiens.