Par le salpêtre une balle lancée
Fendait l’air et l’espace, et dans bien moins de temps
Que n’en mettra ma prose cadencée
A vous conter les incidents
D’une aussi rapide odyssée.
Dès son début, un sequin d’or
Croit vainement en arrêter l’essor.
Elle brise en passant cet obstacle éphémère,
Et le sequin, en éclats dispersé,
A l’instant même est ramassé
Par deux fils de Robert-Macaire.
Bientôt un grain d’encens, par les vents emporte,
S’est rencontré sur son passage ;
Même destin : l’encens, par la balle écarté,
De deux oisons est le partage.
Plus loin, c’est un amas de boue et de fumier,
Où semble finir sa carrière,
Quand, bondissant sur une pierre,
Elle ressort du fétide bourbier
Dans sa vitesse et sa vigueur première.
Mais après tant d’efforts où va-t-elle aboutir?
Dans un monceau de sable enfouie et perdue,
Elle ne laisse enfin de sa route inconnue
Ni vestige ni souvenir.
Tel va droit à son but, sans que rien le dérange,
Un homme juste et ferme en ses désirs constants,
Dédaignant l’or et la louange,
Que le hasard, par un caprice étrange.
Jette parfois aux sots, fripons et charlatans ;
Et passant à travers les vices de son temps,
Comme la balle dans la fange.
Mais trop souvent, hélas! quand son rôle est fini,
Au bout de son chemin, que trouve-t-il ? l’oubli.
“Les aventures d’une Balle”
- Jean-Pons-Guillaume Viennet 1777 – 1868