Dans un réduit à la sourdine,
Des Bergers rotissoient un Mouton des plus gras ;
Ils avoient bien de quoi fournir à leur cuisine,
Grand appétit, bon vin ne manquoient pas.
Messer Loup , fut dit-on , scandalisé du cas ,
Si tant est cependant qu’un Loup se scandalise;
Si je faisois, dit-il, une telle entreprise,
Que l’on verroit de bruit & de fracas!
Les hameaux d’alentour seroient remplis d’alarmes,
Et les Bergers prendroient les armes ,
Hommes & Chiens assiégeroient mes pas.
Pourquoi punir d’une rigueur extrême ,
Des forfaits que souvent on a commis soi-méme ?
Pourquoi s’armer d’un violent courroux ?
Nos condamnations réjailliront sur nous. Reflexions
Les Loups sont les libertins qui s’autorisent à mal faire par le mauvais exemple ; mais cet exemple mauvais ne donne point d’atteinte à la loi ; elle subsiste toujours malgré ceux qui ne l’observent point, & c’est alors que nous devons redoubler notre attention pour réparer le scandale qui cause la chute des foibles. Ayons de l’indulgence pour les fautes de nos frères , nous sommes sujets aux mêmes foiblesses ; prononcer leur condamnation, c’est nous condamner nous-mêmes…
“Les Bergers et le Loup
”
Pierre de Frasnay – (1676 – 1753)