Charles-Guillaume Sourdille de la Valette
Écrivain, poète et fabuliste XVIIIº – Les bœufs et le boucher
Chez un Boucher, dans une vaste étable.
Un grand troupeau de Bœufs ignorait son destin,
Quoique la hache redoutable
Frappât l’un d’eux chaque matin.
Résister eût été facile,
Ils avaient la force et le droit ;
Mais non; chacun reste tranquille
Au coup que son voisin reçoit.
Sur le commun danger l’on s’endort ; on espère
Que la victime de ce jour
Doit enfin être la dernière.
Hélas! c’est aujourd’hui son tour.
Et demain ce sera le vôtre :
Au-devant du péril il faut savoir marcher ;
Malheur à qui l’attend ! Sans peine le Boucher
Les tua tous l’un après l’autre.
Mes amis, aux jours du danger
Unissons-nous pour nous défendre :
Nos malheurs ont dû vous apprendre
Que l’on se flatte en vain d’y rester étranger.
Chacun, en s’isolant, laissa frapper son frère.
Quand tous devaient briser l’homicide instrument :
Sans ce fatal aveuglement
Peut-être aurais-je encor un père !
Charles-Guillaume Sourdille de Lavalette