Un bouvier conduisait, du bout de l’aiguillon,
Dans un chemin boueux son tranquille équipage,
Tandis qu’un long convoi parcourait le sillon
Où le fer d’une route a tracé le passage.
Les bœufs, lents et pesants, allaient d’un pas égal,
Suivant du conducteur la marche accoutumée,
Et des wagons fuyants la fournaise allumée,
Comme un volcan qui lance un pronostic fatal,
Jetait aux cieux ses torrents de fumée.
— Voyez, disait le compagnon soumis
Au même joug qui pesait sur la tête
De l’autre bœuf, par l’âge et la prudence, mis
En grand renom dans le pays ;
Voyez, cette vitesse, égale a la tempête,
Dévorant la distance et sillonnant les airs
Du panache onduleux dont ses feux sont couverts !
Ah ! N’enviez-vous pas tant d’honneur et de gloire ?
— Non, mon fils, non, répond l’autre bœuf plus prudent ;
Il faut toucher au but pour chanter la victoire :
Une petite pierre, un caillou seulement,
Vont arrêter subitement
Ce train qui nous paraît si puissant dans sa fuite.
Ne vous plaignez donc pas d’aller trop lentement ;
Suivons, sans dévier, la ligne de conduite
Qui nous mène à l’étable où le foin nous attend ;
Qui va comptant ses pas ne craint point d’accident :
La prudence et le temps nous conduiront au gîte.
Pour arriver plus sûrement
Il ne faut pas aller trop vite.
“Les Bœufs et la Locomotive”