Delaunay
Poète, fabuliste XVIIº – Les chiens et le maître d’hôtel
Un maître de maison donnait un grand festin
Dont les préparatifs étaient considérables ;
On devait servir quatre tables
De vingt couverts et du plus fin.
Le barbet du logis voyant que l’ordinaire
Ce jour-là serait bien plus fort.
Crut qu’il pouvait prier un braque son compère ;
Un ami mène l’autre, aurais-je si grand tort,
Dit-il, si le voisin prenait part à la chère
Qu’aujourd’hui chez nous on va faire ?
Il va donc le trouver et lui dit : Suis mes pas.
Je t’invite aux apprêts d’un succulent repas ;
Je ne t’en dis pas davantage ;
Mais aiguise tes dents, tu peux être certain
De manger pour le jour et pour le lendemain.
Bon, dit le braque, bon message !
Que tu viens à propos ! car je me meurs de faim.
A ces mots l’on s’embrasse, et pour plus d’assurance
Les deux amis en diligence
Volent à la cuisine, où sans aucun danger
Ils s’apprêtaient à bien manger ;
Là de plus de cent mets plusieurs tables couvertes
Attendaient la dernière main ;
Aussitôt l’étranger, les narines ouvertes :
Quelle flatteuse odeur ! quelles bonnes dessertes
Nous aurons tantôt, mon voisin !
Oui, dit l’autre ; à présent souffre que je te quitte,
Je reviendrai bientôt. Alors le parasite
Se mit en un coin à l’écart,
Portant sur tous les mets un avide regard,
Se gardant surtout de paraître.
Mais le maître d’hôtel l’aperçoit en entrant,
Et sans autre façon par la patte le prend,
Et le jette par la fenêtre.
Le braque demi-mort se relève et s’enfuit.
Un autre le trouve et lui dit :
Quel saut ! d’où viens-tu donc ? – Je viens de me repaître ;
Mais j’ai si fort mangé que j’en suis étourdi ;
Je me suis fourvoyé peut-être.
– Oh ! pour le coup, le peut-être est hardi,
Il est vraiment de la Garonne !
Tout parasite est dans ce cas :
Quand il est éconduit, il n’en parle à personne ;
Et quand il fait de bons repas,
Sa vanité ne conte pas
Tous les traits douloureux dont on les assaisonne.
Delaunay