Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau
Deux chapons , ils étaient manceaux ,
Et partant, d’un pays fameux par ses volailles,
Du même poulailler se trouvaient commensaux.
Mais comme ils différaient d’air, d’humeur et de taille !
Bien portant et malicieux,
L’un avait brillante tournure ;
Rachitique de sa nature,
L’autre était maigre et soucieux.
Le premier vantait sa figure ;
Il méprisait son compagnon ,
Employait contre lui l’ironie et l’injure ,
Le battait, et plus fort, avait toujours raison.
Un jour survint dans la maison
Un vieux cousin opulent et garçon.
On s’arrogeait déjà quelques parcelles
De ses grands biens; l’espoir est sans façon.
Pour fêter le cousin, tout fut mis par écuelles;
Le cuisinier, par ordre du patron,
Dut faire un rôti de chapon.
Le glorieux eut beau battre des ailes ,
Se défendre , se récrier ,
Il succomba sous le fatal acier ;
Maître Jacques, fut inflexible.
Il ne faut pour être sensible
-Qu’avoir connu l’adversité.
Notre pauvre persécuté
Pleura son tyran comme un frère.
Hélas ! s’écriait sa douleur,
Ce matin même encor , d’un ton de voix railleur,
Il insultait à ma misère.
Qu’il, est à craindre le bonheur,
S’il est si voisin du malheur!
Par la prospérité des grandeurs ou du crime,
Gens de bien pourquoi donc vous laisser accabler ?
L’homme puissant qui nous opprime
N’est trop souvent qu’une victime,
Que la fortune engraisse avant de l’immoler.
fable imitée de Desbillon « Les deux Chapons »
Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau, 1773 – 1830