Deux chats qui descendoient du fameux Rodilard,
et dignes tous les deux de leur noble origine,
différoient d’ embonpoint : l’ un étoit gras à lard,
c’ étoit l’ aîné ; sous son hermine
d’ un chanoine il avoit la mine,
tant il étoit dodu, potelé, frais et beau :
le cadet n’ avoit que la peau
collée à sa tranchante échine.
Cependant ce cadet, du matin jusqu’ au soir,
de la cave à la gouttière
trottoit, couroit, il falloit voir,
sans en faire meilleure chère.
Enfin, un jour, au désespoir,
il tint ce discours à son frère :
explique-moi par quel moyen,
passant ta vie à ne rien faire,
moi travaillant toujours, on te nourrit si bien,
et moi si mal. La chose est claire,
lui répondit l’ aîné : tu cours tout le logis
pour manger rarement quelque maigre souris…
-n’ est-ce pas mon devoir ? -d’ accord, cela peut être :
mais moi je reste auprès du maître ;
je sais l’ amuser par mes tours.
Admis à ses repas sans qu’ il me réprimande,
je prends de bons morceaux, et puis je les demande
en faisant patte de velours,
tandis que toi, pauvre imbécile,
tu ne sais rien que le servir,
va, le secret de réussir,
c’ est d’ être adroit, non d’ être utile.
“Les deux chats”