Léonce Pontonnier
Écrivain et fabuliste XVIIIº – Les deux chèvres
Depuis tantôt huit jours, que faites-vous, commère ?
Vous qu’on voyait jadis, alerte et si légère,
Brouter l’herbe et la mousse au sommet du coteau,
C’est partout sans succès que je vous ai cherchée ;
Enfin j’accours ici… Mais quel triste tableau
M’offre votre demeure ! Ah ! vous voilà couchée
Tout du long tristement et la tête penchée ;
Je vois autour de vous vos chevreaux amaigris,
Las de presser en vain vos mamelons flétris…
Vous êtes donc malade ? — Eh quoi ! c’est vous, Jeannette,
(Repartit l’autre chèvre en soulevant la tête.)
Oui, j’ai bien reconnu le son de votre voix,
Votre taille et vos traits… Ma surprise est complète…
Vous, venir en ces lieux !… Oubliez-vous qu’au bois
L’autre jour, méchamment, pour un peu de verdure
Que vous me disputiez, forte de vos bons droits,
Je vous ai fait au front, hélas ! une blessure ?
— C’était mal, dit Jeannette, et vraiment je suis sûre
Que vous avez maudit, Javotte, mille fois
Ce court moment d’erreur. Mais quittons, je vous prie,
Cet entretien fâcheux… Je veux vous secourir.
Vous souffrez : grâce à Dieu Je me porte à ravir…
De votre lait, la source est maintenant tarie :
Moi je suis en état, aisément, de nourrir
Vos petits et les miens… Acceptez mon service…
Et la chèvre entreprit son généreux office.
Chez sa pauvre compagne on vit bientôt rentrer
La santé, le bonheur… Et la reconnaissance
Resserra les liens d’une amitié d’enfance
Que nul dissentiment ne vint plus altérer.
II est beau de savoir, pardonnant une offense,
De qui nous outragea soulager la souffrance.
Léonce Pontonnier, Les deux chèvres