Pañchatantra ou fables de Bidpai
3e. Livre – VIII. — Les deux Pigeons et l’Oiseleur
Un affreux oiseleur, cruel et pareil au dieu de la mort pour les vivants, courait çà et là dans une grande forêt.
Il n’avait ni ami, ni allié, ni parent ; tous l’avaient abandonné, à cause de son horrible métier.
Et certes :
Ceux qui sont malfaisants, méchants, et qui font périr les vivants, inspirent l’effroi aux créatures, comme les serpents.
Avec une cage, un filet et un bâton, il allait toujours dans la forêt, faisant du mal à tous les animaux.
Un jour, comme il errait dans la forât, une femelle de pigeon tomba dans ses mains ; il la jeta dans la cage.
Mais, pendant qu’il était dans la forêt, tous les points de l’espace devinrent noirs de nuages, et il y eut une grande pluie d’orage comme à l’heure de la destruction du monde.
Puis, le cœur rempli de crainte, tremblant sans cesse et cherchant un abri, il alla vers un arbre.
Comme il vit pendant une heure le ciel clair étoile, il s’approcha de l’arbre et il dit : Qui que ce soit qui demeure ici, je viens lui demander protection ; qu’il me sauve, car je suis brisé par le froid et mort de faim.
Or dans le tronc de cet arbre était un pigeon qui habitait là depuis bien longtemps, et qui, privé de sa compagne, se lamentait, plein d’affliction :
Il y a eu une grande pluie d’orage, et ma bien-aimée ne vient pas ; sans elle, ma maison est vide aujourd’hui pour moi.
Celui qui a une épouse comme elle, vertueuse, fidèle et ne pensant qu’au bien de son mari, est un homme heureux sur terre.
Ce n’est pas la maison qui est la maison, dit-on ; la maîtresse de maison est appelée la maison, car une maison sans maîtresse de maison est estimée pareille à une forêt.
Quand la femelle du pigeon, qui était dans la cage, entendit les paroles pleines de tristesse de son époux, elle fut remplie de joie et dit ces mots :
Celle-là ne doit pas être regardée comme une épouse, qui ne fait pas la joie de son mari ; quand un mari est content des femmes, tous les dieux sont contents.
Comme une plante rampante brûlée avec toutes ses fleurs par un incendie de forêt, qu’elle soit réduite en cendres la femme qui ne fait pas la joie de son mari.
Un père donne avec mesure ; un frère, avec mesure ; un fils, avec mesure ; quelle est celle qui ne vénère pas l’époux qui donne sans mesure ?
Et elle ajouta :
Ecoute attentivement, bien-aimé, un bon conseil que je vais te donner : même aux dépens de ta vie tu dois toujours protéger celui qui vient te demander asile.
Cet oiseleur est ici étendu, cherchant un refuge dans ta demeure, il souffre du froid et souffre de la faim ; rends-lui les honneurs.
Et l’on entend dire :
Quand quelqu’un n’honore pas autant qu’il le peut l’hôte qui vient le soir, celui-ci lui donne ses mauvaises actions et lui ravit ses bonnes œuvres.
Et ne montre pas de haine contre lui parce qu’il a pris ta compagne : j’ai été prise par mes propres actions, liens de ma conduite antérieure.
Car
Pauvreté, maladie, chagrin, captivité et malheur, tels sont les fruits que les vivants recueillent de leurs propres fautes.
Laisse donc de côté la haine qu’a fait naître en toi ma captivité ; applique ton esprit à la vertu, et honore cet homme suivant le précepte.
Après avoir entendu ces paroles vertueuses de sa femelle, le pigeon s’approcha humblement et dit à l’oiseleur :
Mon cher, sois le bienvenu ; dis, que puis-je faire pour toi ? Il ne faut pas t’affliger, tu es dans ta maison.
Lorsque l’oiseleur eut entendu ces paroles de l’oiseau, il lui répondit : Pigeon, vraiment j’ai froid, préserve-moi du froid.
Le pigeon alla chercher un charbon, fit tomber du feu et l’alluma ensuite promptement dans des feuilles sèches.
Puis quand il l’eut bien allumé, il dit à ce réfugié : Chauffe ici tes membres avec confiance et sans crainte ; mais je n’ai aucune chose avec laquelle je puisse apaiser ta faim.
Tel en nourrit mille ; un autre, cent ; un autre, dix ; mais moi, qui n’ai pas fait de bonnes œuvres et qui suis pauvre, j’ai de la peine à me nourrir moi-même.
Celui qui ne peut pas donner de la nourriture même à un seul hôte, quel profit a-t-il à habiter dans une maison où il y a beaucoup d’afflictions ?
Aussi j’arrangerai ce corps qui vit dans la douleur, de telle sorte que, quand viendra un mendiant, je ne dirai plus : Il n’y a rien.
Il se blâma en vérité lui-même, mais non l’oiseleur, et il dit : Je te rassasierai, attends une heure.
Après avoir ainsi parlé, le vertueux pigeon, avec un cœur joyeux, fit le tour du feu et y entra comme dans sa maison.
Puis quand l’oiseleur vit le pigeon tombé dans le feu, il fut vivement saisi de compassion, et dit ces mots :
L’homme qui fait le mal ne s’aime assurément pas lui-même, car il recueille lui-même le fruit du mal qu’il a fait lui-même.
Moi qui suis méchant et qui ai toujours été adonné au mal, je tomberai dans l’horrible enfer ; il n’y a pas de doute à cela.
Vraiment, à moi, méchant que je suis, le généreux pigeon qui me donne sa chair m’a bien montré l’exemple.
A partir d’aujourd’hui je dessécherai mon corps privé de toute jouissance, comme un tout petit ruisseau dans la saison des chaleurs.
Endurant le froid, le vent, l’ardeur du soleil, le corps amaigri, et couvert de saleté, je pratiquerai le plus grand devoir religieux avec diverses espèces de jeûne.
Ensuite l’oiseleur brisa son bâton, son dard, son filet et sa cage, et lâcha la pauvre femelle du pigeon.
Puis, mise en liberté par l’oiseleur, la femelle du pigeon, lorsqu’elle vit son époux tombé dans le feu, se lamenta, désolée et le cœur rempli de chagrin :
Maître, je n’ai que faire aujourd’hui de la vie, sans toi : pour une pauvre femme abandonnée, quel profit y a-t-il à vivre ?
La fierté du cœur, le sentiment de soi-même, le respect de famille envers des parents, l’autorité sur les esclaves et les serviteurs, tout est détruit par le veuvage.
Après s’être ainsi beaucoup lamentée pitoyablement et pleine d’affliction, la fidèle épouse entra dans le feu très-ardent.
Puis, portant des vêtements célestes et ornée de parures célestes, la femelle du pigeon vit son époux sur un char divin.
Et celui-ci, qui avait pris un corps divin, dit convenablement : Ah ! tu as bien fait de me suivre, Ô belle !
Il y a trente-cinq millions de poils sur le corps de l’homme : la femme qui suit son mari habitera pendant autant d’années dans le ciel.
Le dieu pigeon jouit tous les jours du plaisir du coucher du soleil, et sa femelle, du ciel solaire du pigeon : cela fut la conséquence de leur mérite antérieur.
Transporté de joie, l’oiseleur entra ensuite dans la forêt épaisse ; il cessa de faire du mal aux animaux et montra la plus grande indifférence pour ce monde.
Voyant là un incendie de forêt, il y entra libre de tout désir, et, ses péchés consumés, il acquit le bonheur du ciel.
Voilà pourquoi je dis :
On raconte qu’un pigeon à qui un ennemi vint demander protection l’honora comme il convient et l’invita à manger sa chair.
Après avoir entendu cela, Arimardana demanda à Dîplâkcha : Dans cette situation, que penses-tu ? — Majesté, répondit celui-ci, il ne faut pas le tuer. Car
Celle qui a toujours peur de moi me serre aujourd’hui contre elle. Ô toi qui me fais plaisir, bonheur à toi et prends ce qui m’appartient.
Et le voleur dit :
Je ne vois rien à te prendre ; s’il y a jamais quelque chose à prendre, je reviendrai encore si elle ne te serre pas contre elle.
Quelle est, demanda Arimardana, celle qui ne serre pas contre elle, et quel est ce voleur ? Je désire entendre cela tout au long. Dîplâkcha raconta :
” Les deux Pigeons et l’Oiseleur”
- Panchatantra 37