Stanislas de Boufflers
Marquis, poète et fabuliste XVIIIº – Les deux Pinsons
Certain petit pinson, né natif de sa cage.
Du mieux qu’il pouvait, consolait
Un de ses pareils d’un autre âge,
Que l’on avait pris au filet,
Et logé depuis peu sous le même grillage.
Mon père, je vous plains, disait le jeune oiseau :
Mais de tant de regrets je ne vois pas la cause :
Manque-t-il ici quelque chose ?
Ne nous donne-t-on pas notre millet, notre eau,
Et le matin du sucre, et le soir du gâteau ?
La fille du logis nous aime,
On en juge à ses petits soins ;
Essayez de l’aimer de même,
Alors qu’on aime, on souffre moins.
Je sais, moi, qu’elle ne désire
Rien tant qu’adoucir votre ennui ;
Elle vous parle, parlez-lui.
De nos maux, la crainte est le pire ;
Toute fille a d’ailleurs un ramage si doux,
Qu’on la prendrait pour un de nous ;
Et c’est comme une sœur à qui l’on peut tout dire.
Celle ci prend soin de m’instruire,
Et, grâce à ses leçons, sans avoir voyagé,
Vous n’imaginez pas la science que j’ai.
Dès que j’ai sur mes flancs senti battre mes ailes,
Voilà que le désir me prend
De fuir vers ces forêts que vous dites si belles,
Et qui doivent prêter leurs ombres maternelles
A mille et mille oiseaux dont je me crois parent.
Je fis ma confidence à ma seconde mère,
Qui me répondit en pleurant :
Pauvre petit ami, quoi ! vous prétendez faire,
Dans les airs, le métier de chevalier errant ?
Je sens, lui dis-je, en moi quelque chose de grand
Qui n’annonce rien moins qu’un pinson ordinaire,
Je veux tenter fortune ! m’abandonner au sort.
Des pinsons mes aïeuls je veux voir la patrie,
On se plaît au berceau de ceux de qui l’on sort.
Pauvre petit ami, dit encor mon amie,
Vous allez en terre ennemie,
Hélas ! pour y trouver la mort ;
Connaissez mieux les bois, la paix en est bannie :
Le plus fort y domine et le plus faible a tort :
Et que peut espérer un pinson, je vous prie,
Dans le domaine du plus fort ?
Ces discours, j’en rougis, ont vaincu mon courage.
Et j’ai fait, non sans quelque effort,
Vœu de clôture dans ma cage.
En effet, dans vos bois on ne vit qu’à demi,
Là, jamais de nos ans la traîne n’est complète,
Et la race pinsonne, à l’escrime peu faite,
A toute heure y rencontre un nouvel ennemi.
Vers minuit, sous la feuille êtes-vous endormi,
Gare le chat-huant et gare la belette ;
Au lever du soleil, l’oiseleur a son tour ;
Si vous vous éloignez des pièges qu’il vous dresse,
Un chasseur vient sur vous éprouver son adresse ;
Au chasseur échappé, vous trouvez le vautour…
Toujours fuir ! à ce prix la vie est par trop chère,
Mais c’est peu du péril auprès de la misère :
Tantôt la soif, tantôt la faim ;
Point d’eau dans les chaleurs, en hiver point de grain ;
Et puis le grand air est malsain,
A ce que dit mademoiselle ;
On change de climat du soir au lendemain,
Samedi l’on brûlait, et dimanche l’on gèle…
Dites si l’on m’a fait un rapport infidèle,
Et croyez-vous, d’après cela,
Qu’on soit plus mal ici que là ?
Mais vous restez muet ; répondez donc, mon maître.
Ami, dit le captif encor plus attristé,
Sois heureux, puisque tu peux l’être
Dans la prison qui t’a vu naître ;
Moi, j’ai connu la liberté.
Stanislas-Jean de Boufflers, 1738-1815, les deux pinsons