Deux tout petits pruniers poussaient sur même terre ;
Tous deux avaient même destin :
Le soleil à midi, la rosée au matin,
Sécheresse ou fraîcheur, au gré de l’atmosphère.
Or, il advient que le maître du lieu
Transplante un jour en serre chaude
L’un des arbres de Reine-Claude ;
En pleurant l’on se dit adieu.
Bonne aubaine pourtant pour l’hôte de la serre :
La pluie et le soleil lui vinrent tout à point ;
En un an, il prit l’embonpoint
D’un vrai propriétaire.
Au printemps, il donna des fleurs ;
On lui compta mille fruits à l’automne.
Et des plus beaux et des meilleurs.
Cependant son ami, qu’au sort on abandonne,
A peine élève dans les airs
Ses bras, ses maigres bras battus par les hivers.
Point de fleurs, point de fruits ! Un feuillage humble et rare
C’était là tout son lot.
La nature envers lui vous semble bien avare ?
Mais ne l’accusons pas trop tôt.
Le citadin, dont la sève féconde
Donna tant de fleurs, tant de fruits,
Qu’il semblait que de ses produits
Il allait nourrir tout le monde,
Épuisé, rabougri, vieillard en quelque temps,
Ne produisit plus rien. Son bois mort, inutile,
Objet de tant de soins, tant qu’il resta fertile,
Fut arraché, foulé sous les pieds des passants.
Le campagnard si tardif à produire,
Grandissant à chaque saison,
De ses bras de géant ombrageait un empire,
Et donnait des fruits à foison
Tout lui venait sans effort et sans peine ;
Il enrichit tout le domaine,
Sans avoir rien coûté ;
Bref, il vécut un siècle bien compté.
De ceci que conclure ?
Qu’en éducation,
Si l’on veut forcer la nature,
De l’esprit le plus riche on fait un avorton.
(Les deux Pruniers)