Denis Charles Henri Gauldrée-Boileau
Nés sous les mêmes cieux, enfants des mêmes monts,
Deux faibles ruisseaux, à leur source,
Au milieu des rochers , à travers mille joncs,
Semblaient vouloir fournir la même course,
Et ne marchaient que par sauts et par bonds.
Chemin faisant, une vaste prairie
Offrit aux yeux des voyageurs
Son tapis émaillé des plus vives couleurs.
« Adieu, mon frère, adieu, je vais passer ma vie
« Dans ce séjour des plaisirs et des fleurs. »
A ces mois, détournant son onde,
L’un d’eux s’élance avec témérité
Au centre de ce nouveau monde,
Où l’appelaient la curiosité,
L’inconstance et la volupté.
Jouet de l’erreur qui le guide,
Il cède à ses nombreux désirs ,
Se partage en tout sens, abreuve un sol avide ,
S’épuise, et meurt au sein des fleurs et des plaisirs.
Tandis qu’il expiait ainsi son imprudence,
Plus circonspect, l’autre ruisseau,
Se défiant de l’apparence,
Resserrait avec soin son mince filet d’eau
Dans l’humble et modeste berceau
Qui le reçut à sa naissance.
Il parcourt un sol raboteux ;
Pas une fleur ne croît sur son rivage,
Aride autant que sinueux ;
Mais loin de dissiper son chétif héritage,
Chaque détour qu’il fait accroît son apanage ;
Il s’enrichit de l’assemblage
Des sources des coteaux voisins.
Maints torrents, jusqu’à lui, conduits par leurs ravins,
S’épurent dans son lit, où s’apaise leur rage ;
Et, de faible ruisseau qu’il était en partant,
Accru par cent ruisseaux, objet de leur hommage,
Il devient un fleuve important.
Cette fable renferme une morale utile :
Le voile est transparent, on a pu la saisir.
N’allons jamais où le plaisir
Nous offre un chemin trop facile.
“Les deux Ruisseaux et la Prairie”