Les Grenouilles qui demandent un roi.
De l’état Démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique.
Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique :
Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S’alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, dans les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau ;
Or c’était un Soliveau,
De qui la gravité fit peur à la première
Qui de le voir s’aventurant
Osa bien quitter sa tanière.
Elle approcha, mais en tremblant.
Une autre la suivit, une autre en fit autant,
Il en vint une fourmilière ;
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu’à sauter sur l’épaule du Roi.
Le bon Sire le souffre, et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue.
Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue.
Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir,
Et Grenouilles de se plaindre ;
Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre ?
Vous avez dû premièrement
Garder votre Gouvernement ;
Mais, ne l’ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fût débonnaire et doux :
De celui-ci contentez-vous,
De peur d’en rencontrer un pire.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 14. Or c’était un soliveau. . . Il faut convenir que la conduite de Jupiter, dans cet Apologue, n’est point du tout raisonnable. Il est très simple de désirer un autre roi qu’un soliveau , et très naturel que les grenouilles ne veuillent pas d’une grue qui les croque. (Les Grenouilles qui demandent un roi)
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) De l’état Démocratique. Celui ou le peuple gouverne; le même dont Corneille a dit :
Le pire des Etats est l’Etat populaire.
(2) Dans les jones , dans les roseaux, etc. Ailleurs on appellerait cette comparaison batologie; ici tout fait image : il n’y a pas jusqu’à l’harmonie imitative de ces vers qui ne fasse en quelque sorte entendre à l’oreille du lecteur le bruit de la fuite précipitée du peuple aquatique.
(3) Elle approcha, mais en tremblant.
Une autre la suivit, une autre en fit autant, etc. La poésie, a dit un ancien, est une peinture parlante; et la peinture, une poésie muette. ( Plutarque, de la manière de lire les Poètes. ) La Fontaine va beaucoup plus loin. La peinture donne la vie, elle ne donne pas le mouvement : elle crée, elle anime ; mais il faut encore suppléer à son action ; elle ne rend point la progression des faits…Lire la suite